Histoire des télégraphes par M. Courtin
MM. Chappe, auxquels on doit cette découverte, en firent la première expérience publique au mois de mars 1791, à Brulon, département de la Sarthe ; elle eut un plein succès. Désirant en faire connaître l’importance pour les transmissions promptes des ordres du Gouvernement, ils s’adres- sèrent à la première Assemblée législative, en 1792 ; mais la session se termina avant qu’on pût prononcer sur les propositions de MM. Chappe. Elles furent reproduites à la Convention nationale, en 1793. Des commissaires furent nommés pour assister à une expérience, qui eut lieu de Paris à St.-Martin-du-Tertre, à huit lieues de distance.
Les commissaires constatèrent que toutes les expériences proposées et faites par MM. Chappe,avaient parfaitement réussi.
La Convention n’ayant plus aucun doute sur les services que pouvait rendre cette découverte, décréta en l’an II (4 août 1793) l’établissement d’une ligne télégraphique de Paris à Lille.
Cette première ligne ayant été mise en mouvement, les ordres du Gouvernement passaient aux armées avec la rapidité de l’éclair.
L’importance d’une correspondance dont les retards, par les moyens ordinaires, pouvaient être funestes, et dont la promptitude, par les télégraphes, offrait tant d’avantages, détermina à en établir plusieurs autres sur différents points de l’Empire. Ainsi l’on vit successivement se former les lignes de Paris à Metz, à St. Malo et à Lyon.
Sa Majesté a fait prolonger ces lignes ; la première jusqu’à Amsterdam, passant par Anvers, avec une ramification sur Boulogne.
La seconde se prolonge de Metz à Strasbourg.
La troisième de St.-Malo à Brest.
La quatrième, de Lyon à Turin, Milan et Venise. On a examiné, d’après les ordres de Sa Majesté, les moyens de faire une ramification sur cette ligne, qui se dirigerait sur Toulon.
Lorsque cette ramification sera établie, l’Empereur, de son palais, pourra, en combinant le mouvement de ses flottes dans les ports d’Anvers, de Brest et de Toulon, les faire sortir simultanément, et recevoir, en peu d’instants, les nouvelles de l’exécution de ses ordres.
D’après ce qu’ont annoncé MM. Chappe, la vitesse des transmissions et telle, qu’on peut, quand l’état de l’atmosphère le permet, faire passer un signal de Paris à Lille, et en recevoir la réponse dans trois minutes : mais en supposant que quelques circonstances s’opposassent à la célérité des mouvements, ces retards ni pourraient être longs, et l’on ne perdrait que quelques minutes. Il serait difficile de se procurer une correspondance plus prompte.
Le rapport sur la science télégraphique, présenté par l’Institut à Sa Majesté, le 6 février 1808, (1), peut servir à donner une opinion sur cette découverte. Il est conçu en ces termes.
"Le télégraphe, né en France, imité presqu’aussitôt par tous les peuples voisins, est remarquable sous deux points de vue : le premier, comme moyen de transmettre des signaux ; dans ce cas, il présente facilité et simplicité dans l’exécution. Il est capable, par sa forme, de résister aux plus grands vents, et se dessine parfaitement dans l’atmosphère où il peut devenir visible pendant la nuit, si l’on y adapte des feux. Enfin, le nombre des positions qu’il peut prendre, est suffisant pour donner, une quantité très - considérable de signaux." Sous le second point de vue, le télégraphe est également recommandable par la langue simple et nécessairement exacte à laquelle
il a dû donner naissance. L’expression d’un mot ou d’une phrase n’exige qu’un signal, et la rapidité avec laquelle on la transmet, est pour ainsi dire égale à la parole.
Celui de MM. Chappe, premiers inventeurs, a successivement acquis toutes ces qualités. Le levier moteur prend sous la main et dans l’instant la forme et la position qu’on veut donner à la partie extérieure, et cet instrument utile ne laisse plus rien à désirer.
Les lignes télégraphiques se composent de stations, plus ou moins éloignées les unes des autres, suivant les localités ; la distance commune entre chacune d’elles est de trois lieues.
On emploie deux hommes à chacun de ces postes: on exige d’eux une très-grande exactitude; car le service serait interrompu par l’absence momentanée d’un de ces stationnaires. Mais on a peu à craindre cette interruption, par la paresse ou quelqu’autre vice; car la communication venant à s’arrêter, l’Administration sait à l’instant quel est le poste coupable; chacun des stationnaires ainsi surveillé par la nature même de ce service ne se permet point de quitter le poste lorsqu’il sait qu’on peut en être instruit sur-le-champ à Paris.
Il est retenu dans le devoir par une surveillance qui s’exerce par tous les stationnaires réciproquement.
On a soin de placer, le plus qu’il est possible, à ces postes, des militaires blessés ou en retraite, mais assez valides pour en faire le service. Ils ont une rétribution qui, jointe à leur pension, augmente leur aisance. Des vues d’économie obligent quelquefois de ne laisser qu’un stationnaire à chaque poste ; mais alors le service est exposé à des interruptions que les absences forcées du stationnaire pourraient faire éprouver, il serait à désirer qu’on pût toujours y entretenir deux individus. Ces lignes servent aussi à la Loterie impériale, dont elles augmentent le revenu par leur prompte communication.
MM. Chappe administrent ces lignes, et rendent compte à M. le Directeur-général des Ponts-et- Chaussées de leurs opérations; ce service s’est fait jusqu’ici avec beaucoup d’intelligence et une grande régularité.
À l’extrémité de chaque ligne il y a un directeur qui correspond avec le poste central établi à Paris. Des inspecteurs sont chargés de surveiller les stations, tant sous le rapport du personnel que sous celui du matériel.
Cette administration emploie plus de cinq cents individus ; la dépense annuelle, pour que le service fût très - régulier, pourrait être de 500.000 francs. Il se fait avec une somme moins forte ; mais on est obligé de dédoubler plusieurs postes.