Inauguration de la statue de Claude Chappe


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INAUGURATION DE LA STATUE DE CLAUDE CHAPPE, INVENTEUR DU TÉLÉGRAPHE AÉRIEN.

Le 1er juillet 1893, anniversaire de la première expérience publique du télégraphe aérien, on a inauguré solennellement à Paris la statue de Claude Chappe, due à une souscription à laquelle avaient pris part exclusivement les employés de la télégraphie française.

C’est à l’intersection des boulevards Saint-Germain et Raspail et de la rue du Bac que s’élève le monument, emplacement très judicieusement choisi, puisqu’il est voisin des anciens bureaux du ministère de l’Intérieur de la rue de Grenelle, où le télégraphe aérien agita si longtemps ses bras articulés.

La statue est très décorative. Claude Chappe est debout, une lunette d’approche à la main, ayant derrière lui un télégraphe aérien. Sur les faces du piédestal, l’artiste a sculpté, en bas-relief, un Mercure volant dans les airs et tenant à la main une lettre, d’où jaillit l’étincelle électrique, et de l’autre main un des bras mobiles du télégraphe aérien.

Le jour de l’inauguration, le monument était entouré de trophées de drapeaux et de verdure, une tente avait été élevée sur un des côtés. Avaient pris place

sous cette tente : M. Terrier, ministre du commerce ; M. de Selves, directeur général des postes et télégraphes, les membres de la famille Chappe, le colonel Avon, représentant le gouverneur de Paris, MM. Gochery, Granet et Sarrien, anciens ministres ; le préfet de la Seine, M. Humbert, président du conseil municipal ; le maire du septième arrondissement, plusieurs sénateurs et députés, le préfet de la Sarthe (Chappe est né à Brûlon, dans ce département), les représentants des municipalités du Quesnoy, de Brûlon et de Condé-sur-l’Escaut, et enfin un grand nombre de fonctionnaires des chemins de fer et des postes et télégraphes.

Le directeur des télégraphes du ministère de l’Intérieur, M. de Selves, a pris la parole le premier, ainsi qu’il lui appartenait, la statue étant le produit d’une souscription des employés de son administration.

« Obéissant à une inspiration généreuse qui l’honore, l’administration télégraphique a tenu, a dit M. de Selves, à ce que le centenaire de Claude Chappe vît s’élever à Paris une statue qui perpétuât le souvenir, en en représentant l’image, du bon citoyen qui fut le créateur du télégraphe.»

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On lit sur les faces du même piédestal, outre ce bas-relief, les inscriptions suivantes: Sur la face gauche :

CLAUDE CHAPPE
PRÉSENTE L’INVENTION DU TÉLÉGRAPHE AÉRIEN
À L’ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE
LE 22 MARS 1792.
IL EST NOMMÉ
INGÉNIEUR-TÉLÉGRAPHE
PAR LA CONVENTION NATIONALE
LE 26 JUILLET 1793

Sur la face droite :

PREMIÈRES NOUVELLES
TÉLÉGRAPHIQUES
REÇUES À PARIS QUELQUES
HEURES APRÈS LES ÉVÉNEMENTS.
REPRISE DU QUESNOY ET DE CONDÉ
15 - 30 AOÛT 1794

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M. de Selves retrace alors la vie de Claude Chappe, qui peut se résumer ainsi :

Claude Chappe était un abbé défroqué par la Révolution.

En 1790, la guerre étrangère rendait indispensable un moyen de communication rapide à de grandes distances. L’abbé Chappe s’appliqua à créer un instrument répondant à cette indication.

Après avoir essayé l’électricité, qui ne pouvait réussir à cette époque puisqu’on ne connaissait encore que l’électricité statique, qui abandonne trop facilement ses conducteurs, et que l’électricité sous forme de courant se transmet seule avec sécurité le long d’un fil métallique, après avoir essayé les combinaisons de formes discernables au loin, puis des couleurs, Claude Chappe adopta des signaux aériens que l’on voyait de loin avec des lunettes d’approche.

Le 2 mars 1791, il avait construit un appareil assez perfectionné pour qu’il pût le faire fonctionner devant les officiers municipaux du village de Parcé (Sarthe), où il vivait retiré. Deux instruments étaient en rapport: l’un avec Parié, l’autre avec Brûlon, séparés par une distance de 16 kilomètres. Des phrases furent

échangées en 6 minutes.

Le succès de cette expérience décida Claude Chappe à venir à Paris et à solliciter du gouvernement de la République l’essai de son procédé de correspondance. Ses deux frères, Ignace et Abraham, qui occupaient des fonctions publiques importantes, se joignirent à lui pour faire réussir l’entreprise.

Les frères Chappe obtinrent l’autorisation d’élever leur machine sur un des pavillons d’octroi de la barrière de l’Etoile. L’appareil allait bientôt fonctionner, lorsque, pendant une nuit, des hommes masqués le renversèrent et le détruisirent, sans que personne songeât à s’opposer à cet acte de vandalisme

Sans se laisser décourager par cet échec, les frères Chappe installèrent un nouveau télégraphe au parc Saint- Fargeau. Mais l’appareil fut détruit, comme le précédent, par des mains inconnues. Le peuple, à cette époque de défiance révolutionnaire, s’était inquiété du jeu de ce mystérieux système aérien. Il avait soupçonné quelque correspondance secrète avec les prisonniers du Temple, et il avait mis le feu aux boiseries de la machine.

La chose se passait le 10 août 1792. Sans s’en

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inquiéter davantage, Claude Chappe et ses frères présentèrent leur projet de correspondance mécanique à la Convention, qui leur accorda 6000 livres pour faire des essais sérieux et nomma une commission pour étudier le projet.

Le 12 juillet 1793, une expérience solennelle fut tentée : la ligne partait de Ménilmontant et aboutissait à Saint-Martin-du-Tertre, en Seine-et-Oise, avec une seule station intermédiaire, à Ecouen. A quatre heures et demie de l’après-midi l’opération commença ; l’appareil de Ménilmontant se mit en mouvement et transmit en onze minutes à Saint-Martin-du-Tertre une dépêche de vingt-neuf mots. En apprenant ce résultat, la Convention, émerveillée, applaudit en masse et, dans son enthousiasme, décréta que le citoyen Chappe porterait le titre d’ingénieur-télégraphe et recevrait les appointements de lieutenant du génie.

C’est avec ce faible appointement que Claude Chappe et ses frères se mirent à l’oeuvre. Grâce à l’influence d’Ignace Chappe, qui était membre de l’Assemblée législative, on lui accorda bientôt un crédit de 166000 livres pour créer une première ligne télégraphique de Paris à Lille.

Tout le monde sait que cette première ligne

télégraphique fut inaugurée, le 1” septembre 1794, par l’annonce d’une victoire : la reprise de la ville de Condé sur les Autrichiens.

Carnot monta à la tribune et, tenant à la main un papier, il dit, de sa voix vibrante :

« Citoyens, voici la nouvelle qui nous arrive à l’instant, par le télégraphe que vous avez fait établir de Paris à Lille :

« Condé est restitué à la République : la reddition a eu lieu ce matin à 6 heures.

Un tonnerre d’applaudissements accueille ces paroles. Les députés se lèvent en masse ; les tribunes éclatent en bravos prolongés; un enthousiasme patriotique étreint les coeurs de toute l’assemblée, qui fait retentir un long cri en l’honneur de l’invention nouvelle, si brillamment inaugurée pour le salut de la patrie.

La séance de la Convention durait encore lorsque la réponse à son message arriva par le télégraphe. Claude Chappe envoyait la lettre suivante, dont le président donna lecture, au milieu de l’enivrement de l’assemblée « Je t’annonce, citoyen président, que les décrets de la Convention nationale qui annoncent

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le changement du nom de Condé en celui de Nord-Libre, et celui qui déclare que l’armée du Nord ne cesse de bien mériter de la patrie, sont transmis. J’en ai reçu le signal par le télégraphe. J’ai chargé mon préposé à Lille de faire passer ces décrets à Nord-Libre par un courrier extraordinaire.» Ainsi se termina la journée du 15 fructidor an II, si mémorable pour la télégraphie aérienne.

L’enthousiasme qui avait saisi tous les coeurs au sein de la Convention, fut ressenti par le pays entier, et l’Europe, conjurée contre la France, frémit au récit des prodiges qu’enfantaient parmi nous le patriotisme et le génie.

Créée sous la première République, la télégraphie aérienne s’est maintenue en France et chez la plupart des nations de l’Europe jusqu’à l’avènement de la télégraphie électrique, vers 1860. On sait de quoi se composaient son mécanisme et son vocabulaire.

L’appareil qui formait les signaux que l’on discernait de loin au moyen de longues-vues se composait de 3 pièces: une poutre mobile au haut d’un support élevé s’appelait le régulateur ; à chacune de ses extrémités était fixée une autre pièce mobile, qu’on appelait l’indicateur. Ces trois pièces étaient actionnées à l’aide de fils de laiton reliés à une manivelle que le

préposé faisait facilement mouvoir de l’intérieur. Les barres mobiles pouvaient prendre 96 positions distinctes. Quatre de ces signaux étant réservés à la correspondance des employés entre eux, - absence, interruption, brouillard, etc., - il restait 92 signes, qu’on pouvait appliquer à la transmission des dépêches. Chappe rédigea trois vocabulaires, contenant chacun 92 pages qui renfermaient 92 mots, phrases ou noms propres. Le premier était consacré aux mots, le second à des phrases usuelles, le troisième aux noms géographiques.

On avait ainsi un dictionnaire de 25392 vocables.

Chaque vocabulaire, chaque page, chaque ligne étaient marqués d’un signe spécial. La façon de procéder se comprend très facilement. Si l’on voulait, par exemple, transmettre le mot envoyer, qui se trouve inscrit le quarante-sixième à la trente-quatrième page du premier vocabulaire, on indiquait, à l’aide du télégraphe, d’abord le chiffre 1, puis le signe 34, enfin le signe 46.

La manoeuvre et la traduction étaient donc fort simples ; néanmoins une dépêche de quarante mots expédiée de Paris à Bayonne traversait cent onze stations.

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Claude Chappe demeura à la tête de l’administration jusqu’au 23 février 1805, où, désespéré des souffrances que lui faisait éprouver une affection de la vessie, il se coupa la gorge.

Ses deux frères le remplacèrent comme directeurs de l’administration.

Après avoir retracé la vie du fondateur de la télégraphie aérienne, M. de Selves ajoute :

« Claude Chappe a voulu, ainsi qu’il le disait lui- même, doter son pays d’une invention utile au bien public. Son but a été atteint. Nous nous efforcerons de le réaliser tous les jours davantage.

« Claude Chappe et ses frères avaient su former un personnel d’une abnégation et d’un dévouement à toute épreuve, et lui inspirer un esprit de discipline qui lui a survécu et qui n’a pas peu contribué au bon renom et au succès de la télégraphie française.

« L’administration qui lui doit sa création, se pénétrant de l’esprit de son auteur, a le sentiment élevé du rôle important qu’elle joue dans la vie de la France.

« Elle n’ignore point qu’en lui confiant la

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transmission rapide de sa pensée, le gouvernement la constitue l’un des éléments essentiels de son action.

« Elle connaît son influence dans la vie économique du pays.

« Elle sait qu’au moment du danger national c’est à elle qu’il incomberait de porter sans délai l’appel de la France à ses enfants ; que c’est à elle encore qu’il incomberait d’assurer les communications du pays avec ses armées et des armées entre elles.

«Aussi les membres qui la composent, depuis ses ingénieurs les plus éminents jusqu’aux moindres de ses fonctionnaires, seront-ils toujours fiers, par leurs découvertes et leurs travaux, en tout cas par leur dévouement patriotique, de témoigner combien ils sont pénétrés de leur mission, modeste quelquefois, mais utile toujours. »

Puis M. de Selves, au nom des souscripteurs, a fait remise à la ville de Paris de la statue de Claude Chappe. «Au nom du personnel des postes et des télégraphes, j’ai l’honneur de remettre à la Ville de Paris, gardienne de tant de glorieux souvenirs, la statue de l’ingénieur-télégraphe Claude Chappe,

fondateur de l’administration française des télégraphes.

« En son nom, je remercie les membres du comité, et particulièrement son zélé secrétaire, M. Jacquez, de l’initiative et du dévouement dont ils ont fait preuve.

«A eux revient, en effet, tout spécialement l’honneur de cette journée.

« Je remercie enfin M. le ministre du commerce, qui a bien voulu présider cette fête, et vous tous, mesdames et messieurs, qui, par votre présence, en avez rehaussé l’éclat et avez donné un précieux témoignage de votre intérêt et de votre sympathie pour l’administration des Postes et des Télégraphes.»

Le président du Conseil municipal, M. Humbert, a pris ensuite la parole. Son discours se termine ainsi :

«Ce sont les distances désormais supprimées, et les points les plus éloignés en correspondance presque immédiate avec Paris, toutes les villes reliées à la capitale par les routes de l’air, et la République plus que jamais, par ce faisceau de communications, une et indivisible....

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« Depuis, nous avons réalisé bien des progrès. Le domaine illimité de la science nous a familiarisés avec d’autres merveilles. L’électricité qui court sur un fil, aussi rapide que la pensée même, a démodé, voilà longtemps, les grands bras qui, sur les tours et les vieux clochers par les temps propices, se fai- saient les uns aux autres des confidences aisées à traduire.

« Mais, tout rudimentaire qu’il était, l’ingénieux ap- pareil de Chappe fut, en son genre, un progrès considérable. II a longtemps suffi à nos pères et leur a rendu des services immenses.

Et c’est ce que vous reconnaissez aujourd’hui, organisateurs de cette cérémonie en l’honneur d’un savant dont l’invention est désormais sans emploi. La gratitude pour un bienfait dont nous ne jouissons plus n’en est que plus touchante.

« Il ne faut point sourire des modes du passé, pas plus qu’il ne faut s’y attarder ; mais on leur doit un souvenir ému pour le bien qu’elles ont fait, l’utilité qu’elles ont eue et la promesse de progrès nouveaux qu’elles portaient inévitablement en germe.

«Puisse cette statue prêcher d’exemple ! Puisse nous venir, pour les heures héroïques, le Chappe qui nous apportera ainsi, un jour, de la frontière, la bonne

nouvelle si attendue!»

M. Terrier, ministre du commerce, prononce enfin une allocution, dont nous donnons les dernières paroles:

«L’homme que nous honorons fut, à cet égard, un véritable bienfaiteur de l’humanité. Sa gloire n’a rien à craindre de l’avenir. Son nom restera dans l’histoire de la civilisation comme celui d’un précurseur de génie. «Il était digne d’une grande administration française, qui compte dans ses rangs des inventeurs et des savants, de perpétuer aux yeux l’image de cet ancêtre et de doter Paris, à qui la France confie en dépôt toutes ses gloires, d’une oeuvre d’art qui est en même temps un monument de piété nationale.»

(Source Gallica : 1894 L'Année scientifique et industrielle publ. par LOUIS FIGUIER...)

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