Rapport sur le télégraphe de jour et de nuit


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RAPPORT SUR LE TÉLÉGRAPHE DE JOUR ET DE NUIT, INVENTÉ PAR M. SYLVESTRE VILALLONGUE.
EXTRAIT DU PROCÈS - VERBAL DE LA SÉANCE DU 14 JUIN 1841

M. FAUVELLE lit, tant en son nom qu’en celui des membres de la Commission nommée dans la dernière séance, le rapport sur le Télégraphe de Jour et de Nuit inventé par M. SYLVESTRE VILALLONGUE, membre résident :

MESSIEURS,

CHARGÉ par votre commission de faire un rapport sur le Télégraphe de Nuit et de Jour, inventé par M. VILALLONGUE, je me félicite d’avoir à constater un succès véritable. La seule crainte que j’éprouve, c’est de ne pouvoir rendre la satisfaction qu’ont ressentie tous les membres de la Commission, présents aux expériences.

Il est inutile, Messieurs , de chercher à vous faire apprécier les avantages des Télégraphes en général ; ces machines ingénieuses, qui réunissent toutes les provinces d’un vaste empire à un centre commun, annulent les distances, rendent facile la centralisation de tous les pouvoirs, et transmettent un ordre de

Paris à Perpignan en moins de temps qu’il n’en faut à un courrier pour aller de Perpignan à Prades ; ces machines jouent un si grand rôle dans la civilisation moderne, que tout ce qui tend à les perfectionner doit être étudié avec soin et encouragé par tous les moyens possibles.

L’inconvénient le plus grave que présente le Télégraphe en usage, c’est d’être nécessairement interrompu par la nuit ; douze heures d’intervalle entre le commencement d’une dépêche et la fin ! Combien de fois cette interruption n’a-t-elle pas jeté la France entière dans la plus cruelle anxiété et le gouvernement lui-même dans d’étranges embarras ?

Aussi, jusqu’à ce jour, toutes les tentatives de perfectionnement ont-elles porté sur les moyens de rendre les signaux du Télégraphe visibles la nuit comme le jour; on n’a pas encore signalé une réussite complète, le problème est donc toujours entier : à M. VILALLONGUE était réservé l’honneur de le résoudre, de manière à ne point laisser prise à la plus légère objection. Il n’entre point, Messieurs, dans les vues de votre commis- sion de vous donner une description minutieuse du Télégraphe de M. VILALLONGUE ; nous en avons néanmoins étudié tous les détails, et nous pouvons vous dire que le mécanisme en est de la plus grande simplicité, que

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les mouvements sont les mêmes que ceux du Télégraphe en usage, qu’il peut être manoeuvré par les mêmes ouvriers et sans études nouvelles. Les signaux sont également semblables pendant le jour, ils se détachent en blanc sur un fond noir, et pendant la nuit, ils deviennent lumineux. Tout l’appareil de l’éclairage et des mobiles est renfermé dans une tourelle carrée on oblongue, qui peut être construite en maçonnerie ou en charpente ; deux des côtes opposés de cette tourelle sont peints en noir et deviennent le fond permanent sur lequel se dessinent et jouent les signaux télégraphiques.

Un modèle au tiers de cet appareil, placé au pied de la Tour de Castel - Roussillon, une distance de quatre kilomètres de l’observatoire fixé près d’un bastion de St.-Jacques, a servi aux expériences que nous avons suivies pendant deux heures, depuis sept heures du soir jusqu’à neuf. Nous avons constaté que pendant le jour, les signaux sont d’une netteté parfaite, et que la moindre incertitude est impossible sur la position des indicateurs et du régulateur ; aussi les dépêches étaient- elles transmises et perçues sans hésitation et avec une rapidité très-grande.

Aux approches de la nuit, les signaux étaient encore facilement lisibles, lorsque, depuis longtemps, on ne voyait plus le Télégraphe de Pia, quoiqu’il ait

une surface neuf fois plus considérable que notre modèle, et ne soit distant que de cinq kilomètres de l’observatoire ou nous étions placés.

Enfin, lorsque la nuit approcha, on fit signe d’éclairer l’appareil et 45 secondes après, la dépêche commencée de jour se continuait de nuit, sans avoir éprouvé d’autre interruption que celle du temps nécessaire pour allumer les lampes.

Les signaux de nuit étaient aussi perceptibles que ceux de jour, et la dépêche se lisait aussi facilement et avec la même rapidité. Une lumière dense, projetée par les branches du Télégraphe, avait remplacé les bandes blanches visibles pendant le jour ; et, comme cette lumière n’arrive à l’oeil de l’observateur qu’après avoir été réfléchie sur un fond mat, on pouvait la regarder aussi long temps qu’il était nécessaire, sans éblouissement et sans que la vue en fût offensée.

Nous avons pu faire encore quelques remarques c’est que la présence de la lune sur l’horizon serait sans influence sur la marche du Télégraphe, car au déclin du jour et lorsque le crépuscule éclairait encore bien plus fortement l’horizon que ne pourrait le faire la lune dans son plein, les signaux du Télégraphe éclairé étaient parfaitement perceptibles.

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On avait paru craindre aussi que la fraîcheur des nuits, faisant condenser des vapeurs aqueuses sur les verres qui garnissent les branches du Télégraphe n'altérât leur visibilité. Cette objection est tombée devant une expérience concluante : un verre dépoli et, par conséquent, moins translucide qu'un verre chargé de vapeurs aqueuses, fut placé sur l'une de ces branches, tandis que les autres étaient garnies de verres polis ; eh ! bien de la station on ne remarqua aucune différence dans l’éclat de leur lumière.

Du point de vue des résultats obtenus, la question du Télégraphe de Jour et de Nuit n'est donc plus un problème ; mais elle ne serait encore qu'à demi résolue, si l'appareil qui les produit ne présentait toutes les garanties désirables de durée, d'économie, de solidité et de facilité dans le choix des stations.

Le choix des stations, Messieurs, est extrêmement important dans l'installation des Télégraphes ordinaires ; c'est, en effet, une bonne condition pour un Télégraphe, que d'avoir pour fond le ciel même ; mais combien de fois n'y a-t-il pas, en avant ou en arrière, des collines ou des montagnes dont la couleur se confond, par un temps brumeux, avec les bras du Télégraphe, et les rend invisibles ? n'arrive-t-il pas bien souvent, par exemple, que le Télégraphe de Perpignan, ne pouvant distinguer les signaux de la

station de Pia et de Garrieux, qui ont pour fond le premier plan des montagnes blanchâtres des Corbières, doit correspondre directement avec la station de Salses, qui se détache dans le ciel, mais à une distance de 20 kilomètres, ce qui rend la perception des signaux très-difficile et entrave la marche des dépêches ?

Portant avec lui son fond permanent, le Télégraphe de M. VILALLONGUE n'a point cet inconvénient ; toutes les positions lui sont indifférentes : sur une montagne, dans une plaine, en opposition ou non avec la couleur des terrains ou des édifices environnants, il sera toujours bien placé, pourvu qu’il soit visible des deux stations, d'avant et d'arrière. Pour faire ressortir cet avantage d'une manière frappante, ce n'est point au haut de la Tour de Castel-Roussillon, c'est au pied de cette Tour, c'est sur un terre-plein, dont la couleur de bistre serait si défavorable à tout autre Télégraphe, que M. VILALLONGUE a placé son modèle ; et cepen- dant tous les signaux qu'il a transmis à Perpignan étaient d'une visibilité parfaite.

Ce n'est pas seulement sous ce rapport que le Télégraphe VILALLONGUE a un avantage marqué sur les Télégraphes en usage.

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La position nécessaire de ces derniers sur de points élevés, leur isolement dans les airs pour être également visibles des deux stations voisines, entraînent plusieurs inconvénients graves ; l'installation en est difficile, les réparations dangereuses et fréquentes; la foudre y est à redouter et l’action destructive que le vent exerce sur l’appareil oblige à donner à toutes les pièces qui le composent et surtout au mât qui le supporte, une force de stabilité qui en élève considérablement le prix.

Dans le système VILALLONGUE, au contraire, le Télégraphe n’est qu’une tourelle élevée sur le toit d’un édifice, ou bien une maisonnette en plein champ, ou bien encore un étage ajouté à l’habitation des employés. Dans l’intérieur, et par conséquent à l’abri du vent et des injures de l’air, sont renfermées toutes les pièces mobiles du mécanisme ; il n’y a rien de saillant à l’extérieur, pas même les bras qui forment les signaux, car, par une disposition heureuse, ces bras qui paraissent se mouvoir sur les murailles d’avant et d’arrière, comme les aiguilles d’une horloge sur un double cadran, sont pourtant encastrées dans ces murailles et forment en quelque sorte corps avec elles.

Tout ici présente donc un grand caractère de solidité, une grande simplicité qui en assure le bas

prix et une garantie de durée indéfinie. Les réparations devront être peu fréquentes, car le vent sera sans action sur le mécanisme, et, dans tous les cas, elles seront faciles et sans danger, tout le mécanisme étant intérieur.

La foudre même sera très-peu à craindre, puisqu’il n’y aura aucune pointe saillante et qu’on ne devra plus choisir de préférence les endroits élevés pour stations.

Tant d’éléments de succès nous donnent la confiance que le Télégraphe VILALLONGUE sera adopté par le Gouvernement, et ce qui nous confirme dans cette opinion, c’est qu’il peut l’être sans transition brusque et presque sans frais d’installation.

En effet, le jeu des machines étant, comme nous l’avons déjà dit, le même que celui des Télégraphes en usage, les employés actuels pourront le manoeuvrer sans études nouvelles et sans avoir rien à changer à leurs habitudes.

Il ne s’agira pas non plus de changer instantanément tous les Télégraphes existant ; il suffira de remplacer par le nouveau modèle les stations hors de service ; le Télégraphe de M. VILALLONGUE s’intercalera facilement dans les

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lignes actuelles, comme Télégraphe de Jour; et, dans l’espace de quelques années, les lignes entières seront transformées en Télégraphe de Jour et de Nuit, sans augmentation sensible de dépenses.

Quant aux lignes nouvelles, elles pourront être établies toutes en Télégraphes VILALLONGUE ; il y aura à la fois économie et avantage pour le gouvernement.

Nous avons même l’espoir de voir bientôt ce Télégraphe remplacer les Sémaphores, et donner, de jour comme de nuit, des signaux aux navires en rade. On sent de quelle importance serait une pareille substitution, sans qu’il soit nécessaire d’en faire ressortir les nombreux avantages.

Je crois, Messieurs, devoir, en finissant, vous faire encore remarquer que M. VILALLONGUE ne s’est point borné à créer son Télégraphe : pour rendre ses expériences concluantes et palpables, pour donner à son appareil ce caractère pratique qui est si important en pareille matière, il a combiné ses signaux pour obtenir un alphabet ; il a créé une langue aussi simple qu’ingénieuse pour leur appellation ; il a improvisé un personnel ; enfin il a tellement soigné tous les détails de sa manoeuvre télégraphique, que les dépêches transmises avec précision et rapidité étaient aussitôt

traduites qu’arrivées.

Ce ne sont plus de simples expériences que nous constatons, c’est une invention définitivement acquise à l’avenir ; M. VILALLONGUE en a fait tous les frais ; la France entière est appelée à en recueillir les fruits.

Que M. VILALLONGUE reçoive donc le juste tribut d’éloges qu’il mérite pour la haute capacité dont il a fait preuve ; et que, fort de l’assentiment et de l’admiration de la société et de tous ses concitoyens, il ne craigne pas de porter son heureuse découverte au pied du Trône qui seul peut dignement le récompenser !»

La Société, consultée par le président, approuve en son entier le rapport de M. Fauvelle et en vote l’impres- sion. — Trente membres sont présents.

Le secrétaire dc la Société,
JOSEPH SIRVEN.

ndlr : On fait référence à ce rapport dans « La Télégraphie Aérienne de A à Z » dans la rubrique « Salses-le- Château »

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