Les télégraphes électriques


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TÉLÉGRAPHES ÉLECTRIQUES (1).

A Genève, un savant d’origine française, Lesage, Imagina le premier de faire communiquer deux stations au moyen de vingt-quatre fils métalliques, séparés entre eux par une matière isolante, et correspondant à autant de balles de sureau suspendues à des fils.

(1) Ceux de nos lecteurs qui désireraient de plus amples renseignements sur le télégraphe électrique peuvent consulter le Mémoire publié par M. Finlaison sur le télégraphe de M. Bain (Londres, 1843); le Moniteur industriel de 18.5 (?); et les Rapports de MM. Pouillet et G. Delessert, dans le Moniteur de 1846.

En faisant passer par l’un quelconque de ces fils l’électricité fournie par une machine électrique ordinaire, la balle correspondante était repoussée, et ce mouvement servait de signal.

En 1797, un autre Français, Bettancourt, employa la bouteille de Leyde, dont il faisait passer la décharge dans des fils allant d’Aranjuez à Madrid. En 1807, Sœmmerring exécuta à Munich un appareil dans lequel l’électricité, fournie par une pile voltaïque, opérait la décomposition de l’eau dans autant de

vases séparés qu’il y a de lettres dans l’alphabet. Cette idée fut reprise par M. Coxe, à Philadelphie, en 1816.

En 1823, M. Ronald publia la description d’un télégraphe dont la principale pièce était un cadran mobile portant des caractères qui venaient tour à tour se présenter devant un guichet.

Le 4 janvier 1839, M. Davy prit un brevet pour un télégraphe dont le cadran était entraîné par un mouvement d’horlogerie, avec un échappement qui le laissait continuer sa révolution ou l’arrêtait, selon que l’opérateur établissait ou suspendait la communication entre une pile et un électro-aimant qui agissait sur l’échappement. Parmi les appareils nouveaux qui seuls ont eu l’avantage de fonctionner pendant plusieurs mois sur des espaces considérables, on doit citer surtout ceux de MM. Morse, Bain et Wheatstone.

Le premier en date est celui de M. Morse, qui paraît en avoir eu l’idée dès 1832. Les deux fils conducteurs attachés aux pôles d’une pile voltaïque aboutissent dans deux coupes de mercure. Le fil télégraphique qui doit réunir les deux stations est bifurqué à son extrémité. Un levier à ressort, auquel l’extrémité bifurquée est attachée, permet à

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l’opérateur de faire plonger les deux branches dans les deux coupes de mercure, lorsqu’il veut que le courant passe dans le fil ; le courant cesse d’y circuler lorsque l’opérateur retire son doigt du levier. A l’autre station, le fil télégraphique enveloppe de plusieurs milliers de circuits un morceau de fer doux en forme de fer à cheval, qui devient un aimant sous l’influence du courant. Cet électro-aimant attire à lui un levier de fer doux, maintenu à distance par un ressort lorsque le courant n’agit pas, et dont l’autre extrémité porte une plume imbibée d’encre. Un ruban de papier, auquel un mécanisme d’horlogerie imprime un mouvement en spirale, vient présenter à la plume tous les points consécutifs de sa surface. Lorsque le courant est établi et suspendu tour à tour à des alternatives très rapprochées, la plume trace sur le papier mobile des angles en zigzag, séparés par des lignes plus ou moins longues lorsque le courant conserve son intensité pendant un certain temps. On convient que chaque angle représentera une unité, que plusieurs angles consécutifs suivis d’une courte ligne représenteront un chiffre renfermant autant d’unités qu’il y aura d’angles, et qu’une série d’assemblages d’angles suivie d’une longue ligne représentera un nombre renfermant une pareille série de chiffres. Il ne s’agit plus que d’avoir un dictionnaire, dans les colonnes duquel, vis-à-vis de chaque nombre, on trouvera un mot. On peut envoyer

ainsi 40 à 45 signaux par minute. Ce télégraphe fonctionne sur plusieurs chemins de fer, aux États-Unis.




Samuel Morse

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Les systèmes de MM. Bain et Wheatstone ont donné lieu en Angleterre à une vive polémique, pour laquelle nous devons renvoyer au Mémoire publié à Londres, en 1843, par M. Finlaison.

Les expériences de M. Bain ont été répétées par M. Jacobi en Russie, et en Italie par MM. Magrini et Mateucci. Ce dernier n’est pas éloigné de croire à la possibilité d’une communication électrique entre Douvres et Calais, au moyen d’un fil métallique couché sur le fond de la mer.

En France, les premières expériences ont eu lieu sur le chemin de fer de Paris à Rouen, villes éloignées de 137 kilomètres. C’est le 30 janvier 1845 que l’on commença à tendre le fil de cuivre destiné à servir de conducteur au courant : il a deux millimètres et demi de diamètre ; on y a ajouté plus tard un fil de fer de quatre millimètres. Ces deux fils passent, à chaque poteau, sur des poulies en biscuit de porcelaine, abritées de la pluie par un petit toit. Ils sont recouverts d’une couche de glu marine pour les isoler, ainsi que les poteaux, qui sont au nombre de 3 000. Le 1er mars, le double fil était placé de Paris à Maisons, et MM. Bréguet et Gounelle commencèrent une série d’expériences qu’ils continuèrent successivement à des distances plus grandes ; le 4 mai, ils purent échanger des signaux entre Paris et

Rouen.

M. Foy, administrateur en chef des télégraphes, ayant désiré qu’il ne fût rien changé aux signes usités dans la télégraphie ordinaire, M. Bréguet employa le courant à faire marcher un petit télégraphe en miniature. On essaya aussi un appareil imaginé par M. Dujardin de Lille, analogue au télégraphe de M. Morse.

Dans l’impossibilité de décrire ici tous ces mécanismes, nous chercherons seulement à donner quelque idée de celui de M. Wheatstone, qui fonctionne depuis dix-huit mois sur le chemin de fer de Versailles à Paris.

Le fil télégraphique aboutit à un disque de bois portant trois entailles métalliques A , B , B’. Lorsque le télégraphe est en repos, une aiguille de cuivre, mobile à la main, met en communication les entailles A , B. Supposons que l’employé placé à l’autre station fasse passer un courant dans le fil télégraphique qui aboutit en A : le courant traverse l’aiguille de A en B, passe par un fil attaché en B, parcourt le double multiplicateur D , et attire le petit levier E ; celui-ci sert d’échappement à un mouvement d’horlogerie, lequel, étant dégagé de ce frein, tourne tant que dure le courant en faisant résonner un timbre. Ce bruit sert à

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avertir l’employé qui fait mouvoir aussitôt l’aiguille et met en communication par son moyen les entailles A et B’ : le courant traverse alors de A en B’, passe par un fil attaché en B’, parcourt le double multiplicateur D’, et attire le petit levier E’. Celui-ci dégage un second mouvement d’horlogerie qui fait tourner un cadran de carton F tant que dure le courant. Ce cadran se meut derrière une petite fenêtre, de manière à ne laisser apercevoir à la fois qu’une seule des vingt-quatre lettres de l’alphabet tracées sur une bande à sa circonférence.

Deux lettres suffisent pour représenter l’un des mots contenus dans un grand tableau, divisé comme une table de multiplication en tranches verticales et horizontales, et portant les vingt-quatre lettres au-dessus de sa première tranche horizontale supérieure ainsi qu’à côté de sa première tranche verticale à gauche.

A l’intersection de deux tranches commençant par deux lettres quelconques, on trouve le mot représenté par ces lettres. Ce tableau renfermant 24 fois 24 cases, on voit qu’il peut fournir 576 mots.

Ces mots, que l’on a choisis parmi les plus usuels, sont les seuls qui puissent s’exprimer par deux lettres sur le cadran de carton ; tout autre mot devra

s’exprimer en toutes lettres.

Pour exprimer les nombres, le cadran porte une seconde bande renfermant deux fois la série des chiffres 0 à 9, et qui les présente également derrière la fenêtre.

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Le tableau qui sert à l’employé à interpréter les dépêches lui sert également à formuler sa réponse. Pour transmettre celle-ci, il fait mouvoir un disque F’, portant comme le cadran F les vingt-quatre lettres et les chiffres ; à chaque lettre correspond une branche fixée à la circonférence du disque, branche que l’employé fait arrêter devant un point fixe G, lorsqu’il veut faire marquer cette lettre au cadran de l’autre station.

Une roue à pignon fixée sur l’axe du disque fait tourner un double multiplicateur I au-dessus de l’aimant en fer à cheval K.

Toutes les fois que les cylindres de fer doux renfermés dans le multiplicateur se trouvent superposés aux pôles de l’aimant, il se produit un courant qui passe dans le disque de bois L à deux entailles métalliques. A ces deux entailles correspondent deux ressorts M, M’, et deux fils dont l’un correspond avec le fil télégraphique après avoir fait tourner le cadran F, et dont l’autre sert de fil de terre pour fermer le circuit. Le courant cesse lorsque le multiplicateur n’est plus superposé à l’aimant, ce qui a lieu chaque fois que le disque marque une lettre. Par conséquent, le cadran de l’autre station, cessant de tourner, marque la même lettre. Mais pour que cette coïncidence ait lieu, il faut que le cadran de

l’autre station et le disque de celle-ci marquent un même point de départ.

A cet effet, chacun d’eux porte à sa circonférence, entre l’A et le Z de l’alphabet, le signe +. Lorsque l’employé veut transmettre une dépêche, il commence par faire marquer à son disque le signe +, ce qui fait marquer le même signe au cadran de l’autre station. Le disque et le cadran sont alors d’accord, et l’employé est certain que, lorsqu’il fera marquer telle lettre à son disque, le cadran de l’autre station marquera la même lettre. Après avoir transmis un mot, il attend que son cadran marque le signe +, ce qui lui indique que l’autre employé a bien saisi le mot et qu’il est prêt à en recevoir un autre. Il remet alors lui-même son disque au signe +, afin que l’accord de son disque et du cadran de l’autre station se rétablisse pour le prochain mot.

Chaque mot correspondant à deux lettres, et devant être ainsi précédé et suivi du signe +, on voit qu’il faut quatre tours pour transmettre chaque mot du tableau. Mais le disque pouvant décrire cent tours par minute, on peut transmettre de Paris à Versailles vingt-cinq mots, ou bien cinquante lettres quelconques, en soixante secondes. Le signe + deux fois répété, sans être suivi d’un mot, indique que la dépêche est finie.

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Outre les lignes de Paris à Rouen, et de Paris à Versailles, on sait qu’il va être établi un télégraphe électrique de Paris à Lille, points entre lesquels les télégraphes aériens, les premiers construits par CHAPPE, sont dans le plus mauvais état. Cette ligne doit être établie sur le chemin de fer du Nord, et on espère la voir prolonger par le gouvernement belge jusqu’à Cologne, d’où elle pourrait pénétrer au centre de l’Allemagne. Dans sa séance du 18 juin 1846, la Chambre des députés a voté un crédit total de 452 150 fr. pour cet objet, savoir : pour la partie de Paris à Lille, 381 150 ; pour celle de Lille à la frontière, 21 000 fr. ; et, pour celle de Douai à Valenciennes, 60 000 fr.

L’administration paraît incliner dès à présent à substituer le télégraphe électrique aux télégraphes aériens. On a objecté que cinq cent trente-quatre maisonnettes de stationnaires, la plupart isolées et d’un accès difficile, étaient mieux à l’abri de la malveillance que les cinq millions de mètres de fil qu’il faudrait établir sur les cinq mille kilomètres de voies de fer qui correspondent à peu près à nos lignes télégraphiques actuelles. Mais il est facile de souder les parties d’un fil rompu, et les cantonniers placés sur les lignes de fer peuvent toujours avertir du lieu de l’accident. La dépense d’entretien sur le chemin de Paris à Rouen est de 170 fr. par kilomètre, chiffre

moindre que celui de la télégraphie aérienne, qui est de 200 fr. Restent les frais de premier établissement, qui sont de 1 400 fr. par kilomètre ; soit 7 millions pour 5 000 kilomètres. Cette dépense serait amplement couverte en modifiant la législation existante.

On sait que la loi du 6 mai 1837 accorde au gouvernement le privilège exclusif de correspondre télégraphiquement, et prononce une peine sévère contre celui qui transmettrait sans autorisation des signaux quelconques d’un point à un autre. Des personnes fort éclairées commencent à croire que la correspondance électrique, par sa rapidité, peut rendre d’immenses services, soit pour prévenir les accidents sur les chemins de fer, soit pour transmettre les nouvelles commerciales. Pour résoudre la difficulté, deux méthodes se présentent.

Par la première, on maintiendrait le privilège exclusif, qui appartient aujourd’hui à l’État, de transmettre les signaux ; mais l’administration des télégraphes serait organisée d’une manière analogue à l’administration des postes, et ferait à la fois le service du gouvernement et celui du public.

Par la seconde, l’État renoncerait à son privilège, ou plutôt les compagnies de chemin de fer acquerraient un droit égal au sien, et, tout en faisant

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leurs propres affaires, se chargeraient en même temps, d’après certaines règles, de transmettre les correspondances particulières qui auraient intérêt à prendre cette voie. La dépense serait alors à la charge des compagnies, et comme elle n’est pas la deux centième partie de celle du chemin de fer lui-même, on peut la regarder comme un surcroît de frais imperceptible. « Chacune de ces solutions a ses avantages, ses difficultés, et peut-être ses périls, dit M. Pouillet dans son Rapport à la Chambre des députés : nous n’en parlons ici que pour faire pressentir les diverses réformes qui se peuvent préparer, et la liaison nécessaire qui existe entre elles. »


CHARLES WHEATSTONE, physicien et inventeur anglais, né le 6 février 1802 à Barnswood, décédé à Paris le 19 octobre 1875.

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