Résumé de la création d'une agence de presse internationale.
Pour réussir, il ne suffit pas d'avoir des idées, il faut de l'esprit d'initiative et .... de la chance.
Citons quelques agences de presse bien connues : L'Agence Havas, première agence de presse au monde, l'Agence France Presse, Deutsche Presse Agentur, The Associated Press (Etats Unis), Tass (Russie) et Reuters (Grande Bretagne).
Israël Beer Josaphat, (futur baron de Reuter) voit le jour à Kassel (Hesse), en Allemagne, en 1816. Petit-fils de rabbin et fils de commerçant, il appartient à une prospère famille juive. A treize ans, il est envoyé en apprentissage dans la banque que dirige l'un de ses oncles à Göttingen, importante université en Basse Saxe. Il y reste seize ans, se familiarisant avec les opérations financières et bancaires. Ces connaissances lui seront plus tard très utiles. C'est dans cette ville qu'il rencontre le célèbre mathématicien Karl Friedrich Gauss, une relation et un client de son oncle, qui travaille alors avec le physicien Wilhelm Weber sur l'électromagnétisme. Les deux hommes ont réussi à construire un embryon de télégraphe électrique. Invité par le professeur Gauss à le voir fonctionner, Israël Beer Josaphat est
frappé par la formidable accélération des vitesses de transmission qu'il permet par rapport au télégraphe aérien de Chappe, inventé en 1793.
IL s'embarque pour Londres en octobre 1845, où il rencontre son épouse. Elle est luthérienne, lui juif... Le 16 novembre 1845, quatre jours avant le mariage, il accepte de se faire baptiser. Israël Beer Josaphat s'appellera désormais Paul-Julius Reuter.
Au début de l'année 1847, il est de retour en Allemagne. Il s'installe à Berlin, où il ouvre, avec un associé, une librairie doublée d'une petite maison d'édition. Ayant publié des pamphlets très critiques envers le roi de Prusse, il est contraint de quitter précipitamment l'Allemagne et de trouver refuge en France.
Paul-Julius Reuter débarque à Paris sans un sou en avril 1848. Afin de subvenir à ses besoins, il entreprend de traduire des articles de journaux allemands qu'il revend aux organes de presse français.
Devant l'intérêt croissant du public pour les nouvelles internationales, un certain Charles Havas a fondé en 1835 la première agence de presse au monde, l'" Agence des feuilles
politiques-Correspondance politique ", utilisant des pigeons voyageurs pour se procurer les nouvelles récoltées dans les journaux étrangers. La future agence Havas est déjà solidement établie sur son marché. Elle est même en train de faire des émules, comme en témoigne la création aux Etats-Unis de l'agence Associated Press. En quête de traducteurs, Charles Havas propose au jeune exilé politique de le rejoindre. Cette collaboration va durer un an.
Au milieu de l'année 1849, Paul-Julius Reuter quitte Havas pour créer sa propre agence de presse à Paris. Elle ne reste ouverte que quelques mois, étant allemand, il ne peut prétendre diffuser des informations internationales à des journaux français...
Contraint de quitter la France, Paul-Julius Reuter est bien décidé à appliquer pour son compte les recettes qui ont fait le succès de Havas et à créer, en Allemagne, sa propre agence. Mais la chance, décidément, n'est pas avec lui. A son arrivée à Berlin, une désagréable surprise l'attend : la place est déjà prise, et par quelqu'un qu'il connaît bien, un ancien collaborateur de Charles Havas comme lui : Bernard Wolff. En 1849, ce dernier a quitté Havas pour ouvrir sa propre agence. Profitant de la mise en service, un peu plus tôt, de la première liaison télégraphique électrique, il a eu le temps de s'assurer de solides
parts de marché. Interdit d'activités en France, bloqué à Berlin, Reuter décide alors de s'installer à Aix-la-Chapelle. Un choix judicieux : la ville est en effet le terminal des liaisons télégraphiques venues d'Allemagne.
Au-delà, se trouvent la France et la Belgique. Mais les liaisons télégraphiques de ces deux pays s'achèvent à Verviers, en Wallonie. Entre Aix-la-Chapelle et cette ville, il y a un " trou " d'une quarantaine de kilomètres. Pour combler celui-ci et éviter toute rupture de communication, Paul-Julius Reuter crée en 1850 un service de pigeons voyageurs qui portent les nouvelles entre Aix-la-Chapelle et Verviers. Mais il était dit que l'Allemagne, tout comme la France, ne ferait pas son bonheur ! Il est à peine installé depuis un an qu'en 1851, une liaison télégraphique est ouverte entre Aix-la-Chapelle et Verviers, rendant totalement inutiles les pigeons voyageurs.
Loin de se décourager, il décide alors de gagner l'Angleterre avec sa famille et d'y créer une nouvelle agence - la troisième tentative en quatre ans- elle sera la bonne. En juin 1851, il est à Londres. Quatre mois plus tard, l'agence Reuters ouvre officiellement ses portes.
UN SUCCÈS LIÉ AU TÉLÉGRAPHE
Paul-Julius Reuter a décidé de cibler les milieux d'affaires et de se spécialiser dans la diffusion des informations boursières et financières. Un choix naturel, compte tenu du rôle tenu par Londres en la matière mais aussi de l'absence totale de concurrence. La vitesse de transmission : cette exigence, qui l'avait tant frappé à Göttingen lorsqu'il discutait avec Carl Friedrich Gauss, devient dès le départ son obsession. Longtemps, la diffusion de l'information a reposé sur les pigeons voyageurs. Puis est venu, à partir de 1844, le télégraphe électrique. C'est sur cette dernière technologie que parie Paul-Julius Reuter. Cette fois, la chance est avec lui: lorsqu'il ouvre son agence en octobre 1851, le premier câble sous-marin reliant l'Angleterre au continent entre Calais et Douvres vient d'être posé. Il est ainsi le premier à transmettre les cours de la Bourse entre Londres et Paris.
Le succès, dès lors, sera foudroyant. A la fin des années 1850, l'agence Reuters compte déjà parmi ses clients les principales banques de la City et la plupart des grands journaux anglais. " Follow the cable " - " Suivez le câble " -, tel est, à partir de 1858, la devise de Reuter. Loin d'être un simple slogan publicitaire, elle est l'expression d'une véritable
stratégie territoriale. Pour " suivre le câble ", l'agence ouvre en effet, dès le début des années 1860, des bureaux à Paris, Berlin, Vienne et Moscou. Elle est également la première à poser ses propres lignes télégraphiques, entre l'Angleterre et l'Irlande d'abord, puis à travers la mer du Nord et enfin entre la France et les Etats-Unis, en association avec l'Anglo-American Telegraph Company. Elle est aussi la première à ouvrir un bureau hors d'Europe, à Alexandrie. Ce faisant, Reuters est la première agence de presse véritablement internationale. Une position que lui disputent rapidement ses deux concurrents historiques, Havas et Wolff. La bataille durera jusqu'au 17 janvier 1870. Ce jour-là en effet, les trois agences signent un accord par lequel elles se reconnaissent mutuellement un contrôle exclusif de l'information sur leur territoire national et se partagent l'Europe et l'Amérique du Sud.
Le succès de Reuters est inséparable du développement des liaisons télégraphiques transcontinentales qui lui permettent de diffuser très vite les nouvelles du monde entier. Dans les années 1870, alors qu'émerge outre- Atlantique un grand capitalisme et que le flux des investissements internationaux se fait plus dense, Reuters est déjà leader mondial sur le créneau de l'information financière. Les informations qu'elle diffuse sont
réputées pour leur intégrité et leur impartialité.
Epuisé par une vie trépidante, Paul-Julius Reuter se retire progressivement des affaires à partir de 1878, laissant les rênes à son fils Herbert. Il meurt en 1899 dans sa villa située sur les hauteurs de Nice.