Végèce et le télégraphe de Chappe


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VEGECE ET LE TÉLÉGRAPHE DE CHAPPE
Par RENÉ REBUFFAT

Préambule :

VÉGÈCE était un écrivain romain de la fin du IV ème siècle et au début du V ème siècle qui a laissé deux livres dont le succès ne s'est jamais démenti tout au long du moyen-âge et de l'époque moderne, l'un sur la tactique militaire romaine l'autre sur la médecine vétérinaire.

Il n'est ni militaire ni médecin. C'est un compilateur brillant qui s'informe aux meilleures sources.

Dans l'un de ses ouvrages VÉGÈCE ne consacre que quelques lignes à ce que nous appellerions les télécommu- nications. Il signale, sans le moindre détail, les signaux de feu ou de fumée.

Ces quelques mots évoquent le télégraphe de CHAPPE dont les bras articulés qui s'agitaient en haut des tours qui relayaient les signaux n'ont pas été sans quelque fortune littéraire.

LUCIEN LEUWEN (deuxième roman de STENDHAL écrit en 1834): deux épisodes à savoir le premier concerne le télégraphe de CHAPPE et la

bourse, le second le télégraphe et les élections.

H. MARTINEAU : (1902-1876) d'après cet auteur c'est le premier épisode qui aurait donné à STENDHAL l'idée d'appeler son roman ''le télégraphe''. STENDHAL lui-même avait été témoin d'un conflit entre MARTIAL DARU et le Général BISSON pour l'accès au télégraphe

ALEXANDRE DUMAS (1802-1870) dans le comte de Monte Christo

GUSTAVE NADAUD (1820-1893) dans une chanson

A. COGNAULT (?) dans le télégraphe à travers les âges

VICTOR HUGO (1802-1885) dans le télégraphe satire : Ce maudit télégraphe enfin va-t-il cesser.........

ERCKMANN (1822-1899)-Chatrian (1826-1890): j'ai vu parfois au bout du chemin, sur une terre, par un beau soleil, se lever ces bras noirs et pliants aux pattes d'un immense coléoptère.............

ALEXANDRE DUMAS (1802-1870) fait parler le comte de Monte Christo qui s'apprête à corrompre un employé d'un relais du télégraphe.

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Les frères CHAPPE connaissaient le passage de VÉGÈCE mais l'avait-il connu avant l'expérience du 12 juillet 1793 lorsque devant la convention ils firent fonctionner, entre MÉNILMONTANT et SAINT-GERMAIN DU TERTRE une ligne utilisant un appareil qui allait être définitivement adopté. Ils n'ont conçu leur télégraphe à bras articulés qu'après des essais très divers.

Les CHAPPE n'ont eu de cesse à défendre leur invention. Le monopole du télégraphe acquis était contesté et on proposait de remplacer leur système par un autre meilleur et largement inspiré du leur.

Lorsque JEAN-FRANÇOIS FOURNEL, (1745-1920) avocat au barreau de Paris, commentait VÉGÈSE il avait quel- que arrière pensée ''on construisait une machine formée de longues pièces de bois, mobiles en tout sens............. elles contiennent un sens dont la signification n'est connue que de ceux qui sont initiés au langage.

CHAPPE avait raison de conclure : Depuis VÉGÈCE, l'histoire n'en fait aucune mention car il est vrai que le télégraphe de VÉGÈCE est resté sans descendance immédiate et probablement d'application limitée. Un grand nombre d'appareils ont été essayés en EUROPE. L'appareil de CHAPPE

étant encore celui qui peut évoquer VÉGÈCE de plus près, on peut voir rapidement en quoi il consistait :

Un mât portait une longue pièce mobile, le régulateur pouvait prendre 4 positions différentes.

Aux extrémités du régulateur deux petites pièces mobiles tournaient autour des extrémités du régulateur et pouvaient prendre 7 positions différentes.

La machine pouvait prendre 196 positions différentes. On en utilisait en fait que la moitié car les signaux étaient préparés avec le régulateur à l'oblique de droite ou de gauche ce qui permettait de corriger les erreurs. On positionnait des ailes et assurés quand le régulateur était horizontal ou vertical. On positionnait donc les ailes sur le régulateur à l'oblique, puis, sans plus toucher, sauf erreur à corriger, aux ailes, on basculait le régulateur.

Un répétiteur en bas du mât permettait le travail de l'opérateur. Il faut noter aussi que le régulateur et ailes n'étaient pas des ''trabes'', des pièces de bois plein, mais des ''persiennes'', les petites lattes évitant reflets et prise au vent.

Avec un appareil de signalisation si perfectionné

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soit-il il faut des relais. A partir du moment où un relais répète immédiatement un signal on peut faire passer des dépêches avec une grande rapidité.

C'est en partie à l'importance des relais que faisait allusion A. CHAPPE en écrivant ''si l'on m'avait proposé d'établir une ligne télégraphique de PARIS à ROME, et qu'on m'eût donné pour tout télégraphe un balai, je me serais chargé de l'établir avec la certitude de faire passer les dépêches plus ou moins promptement.''

CHAPPE estime que le système de VÉGÈCE ne peut transmettre que des avis ''prévus''. Le système CHAPPE pouvait passer lettres, chiffres, ponctuation, indications horaires et diverses mais aussi des syllabes. L'essen- tiel consistait en 92 mots usuels et ne demandaient qu'un signal et demi.

Il fallait deux signaux pour passer 8 464 mots du vocabulaire de mots.

Pour distinguer les éléments du télégraphe de Chappe il faut :
    un appareil de signalisation,
    un système de relais,
    un code
    et surtout une administration spécialisée.

Le feu qui s'allume est le signal le plus simple qui soit. Le code correspond au signal. Le signal est donc du dernier degré du sommaire. Les relais, eux, sont bien organisés et forment un ensemble crédible.

Un système numérique a permis d'accélérer la transmission de l'alphabet :
    un chiffre désignant une section de l'alphabet
    un second chiffre, désignant le numéro de la lettre dans la section.

L'appareil de signalisation de VÉGÈCE se compose de poutres suspendues, tantôt levées, tantôt posées qui indiquent ce qui se passe. Les poutres demandent à être posées sur un bâti et se manœuvrent avec les poulies. Il faut une installation fixe et importante.

Les poutres étaient, en principe, soulevées soit entièrement soit partiellement. Comment des poutres plus ou moins soulevées pouvaient former des signaux observables de loin sans confusions ?

Il s'agit d'un appareil de signalisation dont nous ne pouvons connaître ni l'apparence, ni le fonctionnement exacts tout en étant sûr et maniable mais plus encombrant que celui de CHAPPE. Il donnait cependant un nombre suffisant de signaux.

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Si les CHAPPE avaient utilisé ce procédé ils auraient pu en faire un télégraphe digne de ce nom. L'armée français d'AFRIQUE l'a utilisé de 1843 à 1859 au moment où en FRANCE le télégraphe électrique commençait à être utilisé.

Ce télégraphe ne disposait que de 36 signaux différents cependant il suffisait aux besoins militaires.

Dans le système décrit par VÉGÈCE il n'est pas question de relais des signaux. Comment penser qu'un message circulant à grande vitesse ne fasse pas l'objet d'une mention ? Négligence ?

Les renseignements donnés sont d'une extrême minceur. Il y a cependant deux indices en faveur du système de relais le premier la fixité des installations le deuxième l'emploi du pluriel qui semblent désigner une série de points hauts.

Il n'y a qu'une seule indication concernant les codes. Le système indiquait ce qui se passait. Où on ne passait que des ''avis prévus'' ou ''alerte soyez sur vos gardes''

Le système était peu ambitieux et rien ne prouve qu'il était susceptible de rendre des services appréciables. Si le système était si remarquable

pourquoi a-t-il été si peu remarqué et peu utilisé ?

VÉGÈCE indique certaines conditions générales pour que l'armée en campagne soit solide : petit nombre, santé, approvisionnement, discipline, connaissance des signaux en général, précautions contre les embuscades, traversées des fleuves.

Un classement est prévu : ordre des mots, sonneries d'instruments, signaux visuels.

VÉGÈCE mentionne une association d'idée qui renvoie aux signaux muets : le nuage de poussière soulevé par une armée en marche, les signaux de flammes et de fumée et les ''trabes'. Il s'agit là d'une énumération hétérogène. Il veut sans doute dire qu'une armée en campagne profite des villes pour installer sur les points hauts un télégraphe optique de campagne monté pour une opération donnée. C'est d'ailleurs une différence considérable avec les machines mobiles du télégraphe de CHAPPE qui pouvaient être utilisées pour les lignes mobiles de armées, le télégraphe CHAPPE avait pour vocation l'équipement de lignes fixes au profit d'un pouvoir central.

Au moment de la chute de SÉJEAN, TIBÈRE observait de CAPRÉE des signaux qui lui

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permettaient de se tenir au courant de ce qui se passait à ROME. Cela suppose une ligne déjà longue, avec des relais, un code de signalisation déjà élaboré. (on n'a pas connaissance de ces signaux).

Il est probable que ce stratagème n'a jamais été généralisé. En effet nous savons comment l'information circulait : flot incessant de lettres et rapports. Si les lettres de routine circulaient au pas des convois on peut compter sur les estafettes qui couvraient 50 à 70 kilomètres par jour.

En 1840 ABRAHAM CHAPPE prévoyait que les chemins de fer seraient beaucoup plus rapides que le télégraphe aérien, plus sûr puisque non tributaire des erreurs des préposés ou d'interruptions dues aux pannes et aux intempéries.

L'armée avait besoin d'un moyen de communication plus rapide pour les nouvelles urgentes. Nous le con- naissons : les signaux de feu ou de fumée. C'est un symbole de la veille aux frontières que les tours à feu qui sont les premières images de la colonne TRAJAN. Face à un ennemi potentiel la tour de télégraphe peut donner l'alerte à tout moment. L'armée romaine utilisait un abondant courrier, puis des signaux d'urgence à feu et de fumée qu'elle avait employés de tous temps et

développés sur le limes, et qu'elle a épisodiquement recouru aux sémaphores à poutres de VÉGÈCE.

Le télégraphe de VÉGÈCE est donc resté une invention pour l'essentiel inexploitée.

Conclusion de RENÉ REBUFFAT

Les régulateurs du pouvoir ne font ordinairement d'efforts, pour propager une invention nouvelle, que lorsqu'elle peut servir à augmenter leurs forces, et dans cette circonstance même, la volonté qu'ils font paraître d'abord n'a pas toujours assez d'activité et de persévérance pour qu'ils puissent profiter de tous les avantages qui leur sont offerts.

Synthèse : Monsieur JEAN BARTHELET

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