LES CLÉS DU ROYAUME DES TELECOMMUNICATIONS.
Les communications répondent à un besoin profond. Bien longtemps avant la découverte de l'électricité, l'homme avait trouvé des moyens de transmettre des informations plus vite que ne pouvait les porter le coureur ou le cavalier. C'étaient des volutes de fumée, le son des tam-tam, des trompes, des cloches ou des coups de pistolet, l'éclat du soleil sur une plaque de métal ou un miroir, ou la lueur des lanternes la nuit dans les clochers.
Aujourd'hui, nos lignes de communication franchissent continents et océans. Ce miracle est le fait d'une nouvelle génération de machines - des mécanismes qui utilisent les ondes, les flux et les forces invisibles de l'électricité. La gamme de ces machines électriques va des systèmes primitifs actionnés directement par la pulsation des courants qui parcourent leurs nerfs de métal, aux systèmes supérieurs qu'on a dénommés "électroniques" parce que leur fonctionnement repose sur l'action des électrons dans des tubes à vide ou dans des transistors. Ces machines prolongent nos sens tout comme les machines plus anciennes prolongeaient nos muscles. Mais elles ont également prolongé la notion même de machine. Aujourd'hui ce concept ne
recouvre pas seulement les masses rutilantes et tournoyantes de roues et d'engrenages, mais aussi la petite boîte bourrée d'appareils et de fils discrètement placée dans un coin ou sur une étagère.
Les machines électroniques font entrer dans nos maisons l'image du président de la République ou bien celle d'une escarmouche dans un village de paillotes au Congo. Les arabesques dessinées par les plumes de leurs enregistreurs ou les tracés sautillants de leurs oscillographes inscrivent les battements de notre coeur, les activités de notre cerveau, les mouvements de nos yeux pendant les rêves. Elles sont les clés proustiennes de notre passé, nous faisant réentendre des voix depuis longtemps éteintes. Au premier rang de ces extraordinaires machines de communication et de mémoire le télégraphe, le téléphone et la radio; le phonographe et le magnétophone; le cinéma parlant, et enfin la prodigieuse synthèse d'une partie de chacune d'elles : la télévision.
Par la rapidité avec laquelle elles transmettaient les informations militaires, les stations de sémaphore inventé par Claude Chappe en 1790, comme celle qui est illustrée ci-dessous aidèrent la France à repousser les armées envoyées par ses voisins pour étouffer l’incendie de la Révolution française. Versions améliorées du système de signalisation en bois, les nouvelles stations brandissaient leurs bras au sommet des collines.
La première « ligne télégraphique » de Chappe, terminée en 1794, se composait de 15 tours semblables à celle-ci (ci-contre), jalonnant les 232 km qui séparent Paris de Lille.
Aussi inséparables du xxème siècle qu'elles puissent paraître, les machines électroniques plongent leurs racines dans les siècles passés, dans l'acquisition progressive des connaissances sur la conduction et l'isolement du courant électrique.
En 1729, un Anglais, Stephen Gray, transmit des charges électriques à près de 300 mètres de distance le long de lignes en fil de laiton ou en ficelle mouillée.
Vingt ans après, un Français,l’abbé Jean Antoine Nollet, décida de déterminer à quelle vitesse se déplaçait l’électricité. Humoriste autant qu’esprit curieux, il disposa 200 moines chartreux sur une circonférence de 1 500 mètres, les relia par un fil, envoya une forte décharge électrique sur le fil.., et constata que l’électricité se déplaçait vraiment très vite Mais ce sont essentiellement les travaux de Volta, Oersted et Henry décrits au chapitre 6 - la pile de Volta, la découverte de l’électromagnétisme par Oersted, l’électro-aimant de Henry - qui ont ouvert la voie à l’électronique.
L’électro-aimant est, en fait, un élément essentiel de toutes les machines de communication. L’électro-aimant type par exemple - est un petit noyau de fer entouré d’une bobine de fil isolé. Comme on l’a dit déjà, il est actionné par les propriétés magnétisantes du courant électrique. Lorsque le courant passe dans la bobine, le noyau se magnétise. Il répond d’une façon incroyablement rapide; que le courant s’établisse et se coupe 50 fois par seconde ou 50 000 fois, le noyau perd et rétablit son magnétisme au même rythme, reflétant avec précision dans son action la force et la durée du courant.
En Angleterre, dans les années 1830, un étudiant en médecine, W.F. Cooke, et un physicien, Charles
Wheatstone, s’appuyant sur le fait découvert par Oersted qu’une aiguille aimantée est déviée par le courant électrique, inventèrent un télégraphe électrique primitif qui devait un jour préfigurer de façon spectaculaire les télétypes de la police moderne : au nouvel an de 1845, un certain John Tawell empoisonna une femme de Slough, et s’enfuit dans un train pour Londres, à 30 km de là. Les autorités y télégraphièrent le signalement de Tawell et, à son arrivée à Paddington Station, des détectives l’attendaient. Il fut condamné et pendu pour meurtre.
Sir William Fothergilt Cooke, inventeur anglais (1806-1879), collabora avec sir Charles Wheatstone, physicien anglais (1802-1875), et réalisa en 1845, le télégraphe à aiguille (ci-contre). Le télégraphe Cooke - Wheatstone, l’un des premiers à utiliser l’électromagnétisme, comportait cinq aiguilles placées sur la ligne centrale d’un quadrillage. En appuyant sur deux touches, on excitait des aimants qui pointaient les deux aiguilles sur la lettre voulue. La position de chaque aiguille était transmise par fil à la station réceptrice où les aiguilles d’une machine identique, reproduisant ces positions, délivraient le message codé
LE TRAIT DE GÉNIE D’UN PORTRAITISTE
Parallèlement à la réalisation de Cooke et Wheatstone, Samuel F.B. Morse, un portraitiste américain, décida d’inventer son propre télégraphe électrique.Ce système d’une éclatante simplicité établit ce qui devait être le principe de base de toutes les futures machines électromagnétiques de communication : la conversion des informations en impulsions électriques - pulsations brèves et intermittentes - et leur transmission sous forme de signaux électriques. Le téléphone, la radio, la télévision et la bande magnétique ne font pas autre chose, et, fait extraordinaire, nos sens agissent ainsi
sensibles aux informations venant de ce qui nous entoure, ils les convertissent en signaux nerveux et les dirigent sur le cerveau.
Le télégraphe Morse se composait d’une source d’énergie électrique - d’abord une pile, plus tard une tension fournie par le central - d’un manipulateur d’émission, d’un récepteur sous forme d’un bruiteur électromagnétique, et d’un fil de liaison. Une pression sur le manipulateur excitait l’électro-aimant du bruiteur, qui produisait un claquement sec audible. Pour compléter son appareil, Morse inventa son code maintenant célèbre de points et de traits. Chaque lettre, chaque chiffre y a son identité propre.
La lette « a », par exemple, se dit « point-trait ».
Une légère touche sur le manipulateur envoie un « point »; au contraire, en appuyant une fraction de seconde de plus, c’est un « trait » qui est transmis. Après une discussion longue et mouvementée au Congrès sur l’absurdité de l’invention de Morse, le gouvernement finit par lui allouer 30 000 dollars pour établir une ligne télégraphique de 60 km entre Baltimore et Washington. Utilisant de petites plaques de verre comme isolateurs, il tendit son fil sur poteaux le long de la voie du Baltimore-Ohio.
Le premier message parcourut ce fil le ler mai 1844.
Apprenant qu’à leur Convention nationale à Baltimore les Whigs venaient de désigner Henry Clay et Théodore Frelinghuysen comme candidats à la Présidence et à la Vice-Présidence, Alfred Vail, l’assistant de Morse, s’assit à son manipulateur, non loin de là, à l’embranchement d’Annapolis, et transmit : « Le choix s’est porté sur Clay et Frelinghuysen. » Ce message - le premier « flash » d’information de l’histoire - gagna de vitesse le train des délégués qui retournaient à Washington, en arrivant une heure quarante minutes avant lui. Le 24 mai, lors d’une cérémonie officielle à la Chambre de la Cour Suprême, Morse dépêcha à Baltimore le premier message officiel de son télégraphe. C’était un texte
biblique particulièrement approprié : un passage de Nombres, 23, 23 : « Quelle est l’oeuvre de Dieu ». Les impulsions qu’il envoya couvrirent la distance entre les deux villes en un peu moins de 1/4 900 seconde.
En deux ans, de Washington, les fils télégraphiques se tendirent au Nord vers Portland et Maine, à l’Ouest vers Milwaukee. Mais, loin d’être considérés comme bienfaisants, ils furent en certains endroits arrachés sur des kilomètres par des paysans convaincus que les fils attiraient l’électricité de l’air, perturbaient le temps et gâchaient les récoltes. Pourtant, cela ne put empêcher la ligne de s’étendre en une poussée irrésistible jusqu’au Pacifique. En 1861 les travaux étaient terminés; les vaillants messagers du Pony Express n’appartenaient plus qu’à l’histoire. Cinq ans plus tard, le navire Great Eastern réussit à poser le câble transatlantique permanent de Cyrus H. Field, de l’irlande jusqu’à Trinity Bay à Terre-Neuve. Les rives de l’Atlantique se mirent à crépiter. Les nouvelles qui la veille encore mettaient 12 jours par paquebot pouvaient désormais être transmises par code Morse de New York en Europe en quelques minutes. Jamais plus le monde ne paraîtrait aussi grand.
Samuel Morse, physicien américain (1791-1872), dont le nom est à jamais lié au télégraphe était également un peintre de talent. Les principales caractéristiques du télégraphe furent mises au point par deux de ses contemporains. Joseph Henry et Léonard Gale mais ce fut Morse qui réussit l’heureuse synthèse de leurs idées.
Le système Morse et l’infatigable cliquetis de ses signaux codés dans les gares et les stations de télégraphie conduisirent bientôt des hommes pleins d’imagination à penser que si l’on pouvait transmettre de tels sons par fil, la voix humaine devait pouvoir se transmettre de la même façon. Le rêveur qui devait réaliser cet exploit était un jeune Écossais, ressemblant à Byron, qui vivait à Boston : Alexander Graham Bell. Professeur de diction enseignant également à lire sur les lèvres, Bell décida d’appliquer ses connaissances de l’acoustique et du système auditif humain à la mise au point d’un mécanisme qui convertirait les ondes sonores de la voie humaine en un courant électrique fluctuant, et inversement. Ce mécanisme allait être le téléphone.
Un jour de juin 1875, Bell était dans son laboratoire, appareil récepteur à l’oreille. Dans une autre pièce, son assistant, Thomas A. Watson, réglait une lame d’acier fixée à leur émetteur expérimental. Watson donna une chiquenaude à la lame. Les vibrations arrivèrent jusqu’à Bell par le fil en un son de corde pincée affaibli mais très net. L’hiver suivant, dans son appartement, Bell mit au point avec Watson un émetteur amélioré et commença des essais. Le 10 mars 1876, Bell était dans son bureau et Watson
Après avoir fait antichambre au congrès pendant des années. Morse reçut 30 000 dollars du gouvernement pour établir une ligne télégraphique de Washington à Baltimore. Ci-dessus la maquette du prototype qui le 24 mai 1884 frappa sur la bande en code Morse : « Quelle est lœuvre de Dieu. »
dans la chambre voisine. En faisant les réglages préliminaires, Bell renversa une bouteille d’acide qui se répandit sur ses vêtements.
« Monsieur Watson, s’écria-t-il, venez, j’ai besoin de vous. » Watson entendit clairement ces mots - les premiers transmis par téléphone. Il se précipita. Plus tard la même année, l’Office des Brevets U.S. délivra à Bell, alors âgé de 29 ans, le brevet n° 174 465, qui devait se révéler l’un des plus utiles jamais accordés. Aujourd’hui, fabriqués en série, les appareils téléphoniques perfectionnés dérivés de celui de Bell sont devenus pratiquement indispensables.
Au moment même où Bell commençait l’exploitation commerciale de son invention, en 1878, déjà un rêve nouveau s’emparait de l’homme. Il avait maintenant la preuve que par un effet d’excitation électrique, la voix humaine tout comme le code Morse pouvait effectivement être transmise par fil. Mais - commença-t-il à se demander - pourquoi un fil ? Les lignes étaient coûteuses à établir ; les ouragans les arrachaient. Pourquoi l’électricité, cette magicienne, ne permettrait-elle pas de réaliser une machine envoyant les messages à travers l’espace, sans fil ?
En 1894, après des mois d’expériences, un jeune inspiré de 20 ans, l’italien Guglielmo Marconi, invita
sa mère à monter dans le grenier- laboratoire de leur maison, près de Boulogne. Devant elle il appuya sur un bouton. Bien qu’il n’y eût pas de fils de connexion, une sonnette retentit dans la salle de séjour, 2 étages plus bas : la transmission sans fil était réalisée. Pour perfectionner son invention il emprunta 5 000 lires à son père, qui ne les lui prêta qu’à contrecoeur car il le considérait comme un incorrigible rêveur. Trois ans plus tard, en Angleterre, il transmit son premier message Morse sans fil sur une distance de 13 km. Dès lors, il ne restait qu’à construire des émetteurs plus puissants et des récepteurs plus sensibles, et à perfectionner l’appareillage et la technologie. Au bout de deux autres années, Marconi put envoyer un message par T.S.F. au-delà de la Manche ; bientôt, les cuirassés de la flotte britannique en manoeuvre purent communiquer entre eux à des distances de 100 km.
Marconi traversa ensuite l’Atlantique. Le 12 décembre 1901, dans une petite station de T.S.F. expérimentale à Signal Hill, St-John, Terre-Neuve, il appliqua contre son oreille un écouteur téléphonique relié à son récepteur réglé avec précision. A 120 mètres au-dessus de la station, un grand cerfvolant vagabondait dans le ciel froid et tourmenté au bout
d’un mince fil d’antenne. A midi et demi précise, heure de Terre-Neuve, Marconi entendit ce pour quoi il avait tant peiné et espéré, son puissant émetteur de Cornouailles en Angleterre - trois claquements brefs sur le fond de craquements et de sifflements des parasites, trois points - le code Morse pour la lettre S. En 1/86 seconde, l’appel d’un homme à un autre homme avait couvert 3 500 km d’océan. L’idée qui amena Marconi à ce moment épique ne lui était évidemment pas tombée du ciel. Mais il eut le talent d’assembler et de perfectionner les idées et les dispositions des autres, et notamment des deux physiciens qui avaient étudié la dynamique des ondes électromagnétiques, ce fluide invisible et vibrant qui nous baigne et qui maintenant transmet fidèlement au-delà de l’horizon humain la fourmillante foule des signaux de radio et de télévision.
Le premier de ces physiciens était James Clerk Maxwell, de l’université de Cambridge. Maxwell établit les équations mathématiques de base de l’électromagnétisme et, en 1865, en déduisit l’existence d’ondes électromagnétiques se propageant dans l’espace à la vitesse de la lumière, 300 000 km/s, et rayonnant à partir de leurs sources comme des ondes à la surface d’un étang se propagent à partir du point où le caillou a touché l’eau. Le deuxième physicien, un Allemand, Heinrich
Hertz, confirma les hypothèses de Maxwell en 1887 au moyen de deux appareils, un oscillateur ou émetteur, et un détecteur ou récepteur. Hertz put émettre des ondes électromagnétiques dans l’air avec son oscillateur et les capter avec son détecteur, bien que les deux appareils ne soient reliés en aucune manière. Ces ondes, longtemps connues sous le nom d’ondes hertziennes, sont ce que nous appelons maintenant les ondes radio.
Leurs caractéristiques essentielles apparurent petit à petit. Leur cadence d’oscillation ou fréquence était fantastique — de 500 000 à plus de 2 millions de cycles par seconde. Certaines pouvaient épouser la courbure de la terre. Toutes pouvaient pénétrer ou même traverser de nombreuses substances. Lorsqu’on les concentrait en faisceaux de très haute fréquence, elles se réfléchissaient sur certains obstacles même par brouillard ou nuit noire, comme un écho de lumière, vers les récepteurs placés près de l’émetteur — c’est cela qui, plus tard, mit les chercheurs sur la voie du radar.
La télégraphie sans fil de Marconi produisait des signaux Morse de la façon suivante : en appuyant sur une touche on fermait un circuit électrique. Cela
Alexander Graham Bell prononça les premières paroles de la nouvelle liaison téléphonique, Chicago-New York, le 18 octobre 1892. L’appareil utilisé (ci-dessus) était une version très améliorée du modèle présenté par Bell à l’Exposition du Centenaire à Philadelphie.
produisait une étincelle entre deux éclateurs, boules de métal écartées d’environ 1 mm. L’étincelle engendrait des ondes radio qui, passant par l’antenne, parcouraient ensuite les airs en rafales de traits-points que l’opérateur situé à l’extrémité réceptrice pouvait entendre et déchiffrer.
Des émetteurs d’aujourd’hui il ne sort plus de rafales discontinues mais un flux continu d’ondes radio. En appuyant sur le manipulateur l’opérateur peut modifier la forme des ondes, la « moduler ». Ce sont ces modulations qui sont amplifiées par le récepteur pour être retransformées en sons. Quelques années seulement après le radiotélégraphe de Marconi, l’éther était devenu un véritable chaos de signaux horaires, de bulletins météorologiques, d’appels de navires en mer, du papotage des radio-amateurs. Le récepteur pouvait « se caler » sur la fréquence de l’émetteur qu’il voulait écouter, au moyen d’un condensateur variable qui éliminait les signaux de fréquences différentes. Ce procédé ressemblait à celui qui consiste à examiner un spectre lumineux à travers une fente pour ne voir qu’une couleur à la fois
C’est James Clerk Maxwell, physicien écossais (1831-1879), qui a le premier postulé l’existence d’ondes électromagnétiques se propageant à travers l’espace. Avant lui, on savait que les courants électriques traversant deux bobines parallèles créent le champ magnétique schématisé ci-dessus. Maxwell démontra que lorsque les courants sont soumis à une oscillation, le champ magnétique crée plus loin un champ électrique pulsé qui crée à son tour un champ magnétique, et ainsi de suite à l’infini. Il déduisit que la vitesse de ces « ondes électromagnétiques » est la même que celle de la lumière, et avança que la
lumière elle-même est un phénomène électromagnétique.
Ses travaux permirent la découverte du spectre des ondes électromagnétiques de différentes longueurs, y compris les ondes radio-électriques et les rayons X.
Les techniques fondamentales de la radio sont les mêmes aujourd’hui qu’au temps de Marconi, quoique très améliorées et perfectionnées évidemment. Parmi les progrès réalisés, l’un des principaux fut le passage de la télégraphie à la téléphonie sans fil par l’adaptation de l’émetteur téléphonique à l’émission radio : les ondes radio, au lieu d’être modulées par un manipulateur de télégraphie, l’étaient par les signaux électriques qu’en- gendrait un microphone excité par des sons.
Un deuxième bond en avant, d’une importance capitale, fut l’invention du tube à vide, dispositif électronique de très haute sensibilité qui pouvait détecter les signaux radio beaucoup plus efficacement que les premiers détecteurs à galène, et les amplifier tant à la réception qu’à l’émission, permettant ainsi de les transmettre à plus grande distance et de les reproduire plus fortement et plus clairement.
Le tube à vide fut inventé en 1904 par un Anglais, John Ambrose Fleming, d’après les observations qu’avait faites Edison sur ses premières lampes à incandescence, mais que par une ironie du sort il n’avait jamais exploitées. Le tube de Fleming permettait d’amplifier les ondes radio à leur arrivée de l’antenne. (Aujourd’hui des tubes analogues sont utilisés pour transformer les oscillations électriques en courant continu dans un seul sens.)
En 1907, un ingénieur américain, Lee de Forest, réalisa un tube perfectionné appelé triode, ou audion, qui amplifiait beaucoup mieux les signaux radio faibles.
Un perfectionnement de circuit, proposé en 1914 par E.H. Armstrong, alors boursier de recherches à l’université de Columbia, augmenta considérablement l’efficacité de l’audion.
Du fait de son aptitude à amplifier les plus faibles signaux électriques avec une grande fidélité, le tube à vide ou lampe radio s’est révélé la clé de toutes les merveilles de l’électronique moderne, du radar au microscope électronique, de la télévision aux calculatrices. Il a donné une dimension nouvelle à maintes machines et son chaud rougeoiement se retrouve au coeur de toutes les machines
électroniques.
La transition de la mécanique à l’électronique ne fut nulle part plus frappante que dans l’évolution du phonographe et du cinéma parlant. Tel qu’il était conçu à l’origine, le phonographe - la « machine parlante » - était un dispositif mécanique pour la reproduction des ondes sonores. Un artiste chantait ou jouait devant un cornet. Les sons faisaient vibrer une aiguille d’acier qui gravait leur dessin sur un rouleau de cire en rotation (plus tard sur un disque). Lorsqu’un phonographe rejouait la copie d’un disque, son aiguille à son tour imprimait des vibrations à une membrane ou un diaphragme qui les retransformait en ondes sonores semblables aux ondes initiales.
La musique d’un orchestre jouant dans une salle d’un théâtre européen de la fin du XVIIème siècle était retransmise dans les rues par un énorme cornet acoustique. De tels cornets étaient destinés à capter et amplifier les ondes sonores et à les diriger dans
une direction précise.
Les premiers studios d’enregistrement ne prirent leur vrai visage que vers 1890, lorsque l’enregistrement en sillon sur disque remplaça peu à peu le cylindre d’Edison. La scène montre un phonographe d’Edison enregistrant un pianiste, Cette pratique devint socialement admise et financièrement profitable pour les artistes lorsque le grand Caruso l’eut adoptée.
Le premier enregistrement phonographique fut celui de la voix de Thomas Edison (ci-dessus) dans sa nouvelle machine parlante fonctionnant par les vibrations d’une aiguille produites par des ondes sonores.
En 1877, un poète français peu connu, Charles Cros, songeait à réaliser une telle machine parlante; mais tandis qu’il cherchait de l’argent pour la mettre au point, Edison eut la même idée alors qu’il bricolait un émetteur télégraphique à grande vitesse. Quelques mois plus tard, il tendait à l’un de ses mécaniciens le croquis sommaire d’un dispositif :
« Voyez si vous pouvez en tirer quelque chose rapidement », lui dit-il. La légende rapporte que le mécanicien revint à peine 30 heures plus tard avec un modèle simple et qu’il reçut 18 dollars pour son travail. A partir de ce dispositif fruste à cylindre et à manivelle, la machine parlante d’Edison évolua pour aboutir aux modèles remontables à ressorts enfermés dans des coffrets de style Chippendale chinois qui se répandirent dans les salons de tout le pays et suscitèrent dans le public une conscience nouvelle de l’art musical.
Mais vers 1925 les Américains commençaient à écouter la radio - qui bénéficiait des progrès accomplis au cours de la Première Guerre mondiale dans le domaine des microphones et des amplificateurs à lampes. Comparé aux sonorités de leurs postes de radio, le son de leurs phonographes était grêle et nasillard. En 1924, les chercheurs de la Bell Telephone mirent au point une nouvelle technique d’enregistrement électrique utilisant l’amplification par lampe. Comme dans la radiophonie, les ondes sonores étaient transformées en signaux électriques puis amenées par amplification au niveau nécessaire pour la gravure de la matrice à partir de laquelle seraient pressés des milliers de disques. Le registre était étendu, la puissance sonore augmentée. Les vieilles machines
parlantes mécaniques furent reléguées au grenier, détrônées par l’électrophone.
Parallèlement à son besoin de faire partager ses paroles et ses pensées, l’homme a toujours ressenti celui de les perpétuer. La machine parlante d’Edison (ci-contre) répondait à ces deux aspirations. Son modèle D de 1908 fit résonner dans les demeures américaines la voix des chanteurs étrangers. Imprimés dans la cire, leurs paroles et leurs chants pouvaient être écoutés et ré-écoutés sans fin
En même temps, un autre système de transformation du son en signaux électriques et réciproquement était mis au point - le magnétophone. Sous sa forme actuelle, voici comment cette autre machine électronique fonctionne : les ondes sonores sont captées par le microphone ; celui-ci les traduit en signaux électriques qui, amplifiés par une lampe, parviennent à un minuscule électro-aimant appelé « tête électromagnétique ».
Ils y produisent des champs magnétiques reflétant les ondes sonores originales. En même temps, des bobines en tournant dévident à vitesse constante la bande magnétique devant la tête. Une face de la bande est constituée par un support plastique lisse comme un ruban de paquet de Noël. L’autre côté est enduit de milliards de particules microscopiques d’oxyde de fer collées par de la résine. Ces particules sont elles-mêmes magnétisées ; en passant dans le
champ magnétique de la tête d’enregistrement, elles se disposent immédiatement et s’immobilisent selon des arrangements qui reflètent avec précision les valeurs successives de ce champ. Inversement, lorsqu’on repasse la bande, le dessin des particules ferreuses magnétisées défile devant la tête qui le reconvertit en signaux électriques. Ceux-ci après amplification font émettre au haut-parleur des sons identiques aux sons originaux.
C’est un petit flacon de verre contenant des morceaux de métal et des bouts de fil qui rendit possible la radio moderne à l’intérieur d’un tube à vide (ci-dessus), l’excès d’électrons d’un filament chargé négativement, la « cathode » est attiré par une plaque chargée positivement. I’ « anode ». Entre la cathode et l’anode se trouve une grille chargée négativement
qui transmet la tension alternative très faible d’une antenne excitée par des ondes radio. Tandis que cette tension oscille, la grille agit soit négativement (à droite), repoussant les électrons, soit positivement (à gauche) en aidant à attirer les électrons vers l’anode. C’est l’arrivée des électrons sur l’anode qui réalise l’amplification des ondes qui fourniront le son.
Un magnétophone est, au sens strict du mot, une mémoire. Il enregistre aussi bien un concerto de Beethoven que le son des cornes de brume des navires, le discours d’un homme d’État que les gazouillements d’enfants. Mais il peut aussi enregistrer des informations destinées à des machines, en dessins magnétiques disposés selon leur langage - de sorte que (comme nous le verrons au chapitre 8) en rejouant la bande à une machine, le magnétophone communique en quelque sorte avec elle, lui donne des ordres. Le magnétophone donne également à une machine par exemple - le moyen d’enregistrer des informations qu’elle réutilisera plus tard; il peut ainsi lui servir de mémoire.
L’électronique nous a permis de doter encore les machines d’un autre organe humain : un oeil, bien plus sensible et plus durable que l’oeil humain, et qui
n’est fait pourtant que d’un peu de fil, de verre et de produits chimiques. La cellule photo-électrique, I’ « oeil électrique », est le « gadget » qui fait s’ouvrir toutes seules les portes des aéroports et des supermarchés, qui fait fonctionner les fontaines d’eau glacée, déclenche les sonneries d’alarme antivol et permet la transmission des images par fil et par radio. Elle rend possible cette télévision devant laquelle tant de familles passent maintenant le plus clair de leur temps.
Dans un tube à vide, un fil chauffé par le courant électrique émet, « vaporise » des électrons en un flux d’électricité. Dans une cellule photo-électrique, un morceau de métal émet des électrons lorsqu’il est frappé par la lumière - c’est l’effet photo-électrique. De même que le microphone convertit les ondes sonores en signaux électriques, la cellule photo-électrique convertit les ondes lumineuses en signaux électriques. Ceux-ci doivent être amplifiés pour acquérir la force de déclencher un interrupteur, d’ouvrir une porte, de lancer ou d’arrêter un moteur. Ils peuvent être transmis par fil ou par radio. Arrivés à destination, ils sont convertis par d’autres machines en répliques des ondes lumineuses originales.
Avant de réaliser la télévision, toutefois, le tandem cellule photo-électrique - tube à vide révolutionna le
cinéma. Les premiers films étaient tout à fait fascinants à regarder mais ils étaient muets c’était une sorte de pantomime mécanique sans profondeur. A ce mimodrame pourtant divertissant, l’équipe électronique a ajouté les paroles et la musique, la chaleur de la voix humaine et du son des violons ; l’écho sonore de l’actualité.
Petit, durable, dégageant peu de chaleur, le transistor (ci-dessus) rend possible les radios de poche car il est capable d’amplifier autant que le tube à vide bien plus volumineux. En passant à travers les trois parties du transistor, le courant continu à l’entrée du fil négatif se transforme, après injection d’un faible signal par le fil de base dans la partie médiane, en un signal alternatif amplifié jusqu’à 40 000 fois à la sortie du fil positif.
L’étrange mariage du cinéma et de la cellule photo-électrique marqua le point culminant d’années de recherches effectuées par Lee de Forest, inventeur de l’audion, par George Eastman, le fabricant de films, par les chercheurs du monde entier. Le résultat de ce mariage, le cinéma parlant, est une synthèse ingénieuse. Les sons enregistrés sont convertis en signaux électriques, qui modulent la projection d’un faisceau lumineux sur une piste du film accompagnant des images. Pour reconvertir cette modulation en un son, il suffit d’utiliser une cellule photo-électrique. Un fin pinceau lumineux est concentré sur la piste sonore, la traverse et frappe la cellule photo-électrique de l’autre côté. Tandis que le film (et la piste) se déplace dans le pinceau, les variations d’ondes lumineuses sont captées par la cellule photo-électrique et transformées en minuscules signaux électriques. Des tubes à vide les amplifient, des haut-parleurs les retransforment en sons.
La cellule photo-électrique devait être la clé d’autres procédés électroniques. L’un est la téléphoto, permettant la retransmission d’images et de textes en quelques minutes, par fil ou radio - réalisée pour la première fois à la Convention nationale républicaine
de Cleveland, en 1924. Selon une méthode maintenant classique, l’expéditeur fixe la photo sur un cylindre horizontal qui tourne à 100 tours par minute, tout en se déplaçant latéralement.
Pendant qu’il tourne, un fin pinceau de lumière immobile frappe la photo en un point de 1/10 mm de côté et en reflète avec précision les diverses teintes de noir, de blanc et de gris. La lumière réfléchie par un miroir est focalisée sur une cellule photo-électrique. La cellule la transforme en signaux électriques que des tubes à vide amplifient à un niveau suffisant pour la retransmission. A l’extrémité réceptrice, des amplificateurs rétablissent la puissance qui s’est affaiblie pendant le trajet. Là, un « robinet à lumière » électronique retransforme les signaux en variations d’intensité lumineuse. Celles-ci s’enregistrent sur une pellicule photographique vierge glacée sur un cylindre tournant qui se déplace en synchronisme avec le cylindre émetteur. L’opération terminée, l’opérateur obtient une pellicule négative qui lui permet de réaliser un tirage positif de la photo originale.
La synthèse logique de tous ces dispositifs fut la télévision : la retransmission simultanée, sans fil, de l’image et du son, qui nous offre la possibilité d’assister au spectacle comme si nous étions placés
en réalité là où se trouvent la caméra et le microphone. Une synthèse nouvelle apparut avec le bande magnétique - la bande video, mise au point vers 1955. Sur cette bande pouvait être enregistré, non seulement ce que le microphone avait entendu, mais même ce que la caméra avait vu, de sorte qu’on pouvait conserver l’image de ce moment ou de cet événement pour une présentation ultérieure.
Rêve des années balbutiantes de la radio, le système d’analyse essentiel à la télévision fut finalement réalisé et mis au point dans les laboratoires de recherches américains.
Parmi les dizaines de noms attachés à la réalisation de ces idées, deux se détachent nettement : Viadimir K. Zworykin, et Philo T. Farnsworth. Émigré russe, Zworykin vint en Amérique après la Première Guerre mondiale.
En 1929 il présentait son iconoscope - le premier oeil électronique de la télévision.
Farnsworth, lui, mit au point l’image-orthicon, l’oeil perfectionné des caméras de télévision actuelles.
HISTOIRE EN NOIR, GRIS ET BLANC
La télévision d’une image commence à sa focalisation par l’objectif de la caméra de télévision à l’intérieur de l’image-orthicon - tube électronique d’environ 38 cm de long. Dans ce tube se trouve un écran fait de matériau sensible à la lumière ; l’image y est projetée en une miniature parfaite. Elle se compose, cette image, d’ondes lumineuses d’intensités différentes - les blancs, les noirs, les gris. Selon leur intensité, ces ondes lumineuses provoquent l’émission d’un nombre variable d’électrons par l’écran et la cible adjacente. Une image électrique se forme sur la cible aux endroits abandonnés par les électrons. A l’extrémité opposée du tube se trouve un canon électronique - ainsi nommé parce que, lorsqu’il est chauffé, il projette un faisceau très fin d’électrons. Celui-ci explore toute la cible 30 fois par seconde et est réfléchi sur une plaque collectrice où il produit un courant électrique variable. Ce courant assure une nouvelle représentation électrique de l’image originale, qui est envoyée sur un amplificateur, puis à travers l’espace vers les antennes qui sur les toits tendent leurs grands bras métalliques.
Dans le poste de télévision familial, le courant variable, détecté et amplifié, attaque le kinescope ou
tube à image. Celui-ci, de forme approximativement pyramidale, se termine à son extrémité la plus large par l’écran fluorescent que nous connaissons tous, et à son extrémité la plus petite se trouve son propre canon à électrons. Le faisceau du canon électronique est focalisé sur l’écran et l’explore - comme le faisait le faisceau de l’image-orthicon - 30 fois par seconde, le rendant lumineux. L’intensité de ce faisceau varie selon le signal électrique qui arrive à l’antenne, produisant sur l’écran des points brillants ou sombres qui correspondent exactement à ceux de la caméra de télévision, recréant ainsi l’image recueillie au studio.
Pendant que nous regardons la saisissante réplique de la réalité sur notre écran de télévision, il y a probablement dans la même pièce un téléphone et un tourne-disques. Sur notre table de chevet il y a un poste de radio; un autre dans notre voiture. Ces appareils étranges ne font jamais rien que nous ne leur fassions faire ; ils ne prennent vie que sous nos doigts ; mais rendons-leur justice ils nous servent fidèlement. Ce sont eux qui constituent l’immense système nerveux aux milliards de connections, des affaires, de l’information et de nos puissantes forces militaires. Et tout au long de nos jours et de nos nuits ils nous préservent de la solitude et nous rapprochent les uns des autres.
Le visage d’un clown sur l’écran de télévision (ci-dessus) a été dessiné par la pointe d’un faisceau d’électrons balayant l’écran de long en large selon un trajet semblable à celui indiqué au-dessous. Ce dessin ne montre que onze balayages alors que le faisceau en fait en réalité 525 pour dessiner le détail du visage.
Insoupçonné du téléspectateur un monde d’électrons s’agite et se bouscule continuellement derrière l’écran. Les impulsions électroniques qui représentent une image sont envoyées à la cathode du tube image de télévision (ci-contre). La cathode émet des électrons dont le flux est réglé par la grille de commande, mis en vitesse par l’anode d’accélération et concentré en un seul faisceau par l’anode de focalisation. Ce faisceau électronique est ensuite dévié par deux paires de bobines électromagnétiques pour balayer de long en large l’écran de télévision qui est enduit sur sa face interne de produits chimiques qui deviennent lumineux sous le choc des électrons. Après avoir « vaporisé » l’image sur l’écran, des électrons sont évacués à travers un revêtement de graphite vers une anode à haute tension reliée par un fil à l’extérieur du récepteur
Source : extraits de l'ouvrage "les machines de Robert O'Brien"