LA TÉLÉGRAPHIE ATMOSPHÉRIQUE
les tuyaux pneumatiques.
La question de la distribution des dépêches dans l’intérieur des villes, a remis en faveur les systèmes de transport pneumatiques, qui, après avoir eu leur heure de célébrité, semblaient depuis vingt ans voués à l’oubli.
Nous allons, en suivant les phases de cette question, montrer par quelle logique la télégraphie atmosphérique dérive de la télégraphie électrique ; nous nous attacherons ensuite, plus spécialement à la première, et après avoir indiqué ce qu’elle est aujourd’hui, nous rechercherons quel avenir lui est réservé.
La dépêche télégraphique est devenue un objet de consommation courante ; ou veut aller vite en ce temps, il était naturel, étant donnée cette tendance, qu’on utilisât avec empressement un moyen aussi commode de transmettre presque instantanément ses impressions ou ses volontés à toutes les distances. Quelques-uns prétendent même que cette conquête de l’industrie n’est pas étrangère à la fièvre de progrès qui nous dévore, nous n’entrerons point dans ce débat.
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’une ville comme Londres ou Paris expédie et reçoit chaque jour un grand nombre de télégrammes. Les fils qui servent de conducteurs à l’électricité, saut multipliés dans toutes les directions afin de suffire à ce trafic. Ils aboutissent dans l’intérieur, à un centre qui est l’hôtel des télégraphes. Cette station centrale parle urbi et orbi, en d’ autres termes, elle reçoit les dépêches de la ville pour les répandre dans le monde entier, elle se prête aussi au mouvement inverse. Le coté qui nous intéresse ici, c’est la distribution dans la ville même ; examinons ce qu’on a fait pour arriver au but.
Chaque maison ne pouvant être mise immédiatement en communication avec le centre du réseau télégraphique, il a fallu adopter un moyen terme. Dans l’exemple que nous prendrons, Paris, on a divisé la ville en circonscriptions d’un rayon moyen de 1 000 mètres pour limiter les déplacements des piétons L’application de cette règle a donné sur le plan cinquante points distants les uns des autres d’un kilomètre, où sont installés autant de succursales de grand bureau.
Un tracé rayonnant fait communiquer électriquement tous les postes auxiliaires avec la station centrale ; ce système semble, à première vue, irréprochable. Mais bientôt l’expérience a fait
reconnaître que les diverses succursales fournissent très-irrégulièrement leur contingent de besogne. Le télégraphe est un agent nerveux par excellence, il suit les caprices du public et lui-même est fantasque comme le temps. Ceci demande quelques mots d’explication.
A la Bourse, plus qu’ailleurs, les jours se suivent sans se ressembler ; 3 ou 4 fils suffiront aujourd’hui pour écouler le stock ; demain, vienne un incident, 20 ou 300 fils seront nécessaires. La transmission électrique n’est pas instantanée ; les mots sont formés par des signaux successifs, il faut deux minutes pour envoyer 20 mots. Pour être prête à toute éventualité, l’administration devra faire les frais d’un personnel souvent inoccupé et réunir un matériel considérable : le procédé est ruineux.
D’autre part, les appareils électriques composés d’organes très-délicats, sont sujets à des dérangements d’autant plus fréquents qu’ils sont plus surmenés, les nerfs des employés se mettant ensuite de la partie, vous comprendrez que pour la télégraphie urbaine, la transmission électrique est un méchant moyen dans les stations encombrées.
Voici un exemple où, après avoir marché trop vite dans la voie du progrès, on fut ramené en arrière.
Pendant trois ans on assura le service de l’échange des dépêches entre la station centrale et la Bourse, au moyen de voitures. C’était bizarre, et néanmoins les rieurs n’eurent pas beau jeu, une amélioration notable fut la conséquence du changement de système.
On était sur la voie du tube pneumatique ; en voyant circuler tout le jour sur le même trajet cette file de courriers qui gênaient la circulation, on pensa qu’un tube souterrain reliant les deux points pourrait servir de trait d’union avec moins d’embarras. Le tube est posé, les dépêches placées dans de petites boîtes arrivent soufflés par l’air comprimé, comme une balle lancée dans un fusil à vent.
Les Anglais qui avaient réalisé les premiers chemins de fer atmosphériques furent encore les premiers en ligne dans cette nouvelle application : depuis 1854 des tubes sont employés à Londres pour la distribution des dépêches ; cependant jusqu’à ces dernières années le développement du réseau a été très-lent. L’exemple a été suivi à Paris et à Berlin en 1865 ; nous parlerons aujourd’hui du système de Paris.
Représentons-nous sur le plan, les 50 stations distantes les unes des autres d’un kilomètre environ,
reliées par un tube de fer interrompu à chacune d’elles. La station centrale par laquelle s’effectue le transit, des dépêches avec l’extérieur, est à la rue de Grenelle ; il y a ensuite les stations de quartiers, rue Boissy-d’Anglas, Grand-Hôtel, Bourse, etc., actuellement au nombre de 7
Comment fonctionne, ce réseau ? Comme un petit chemin de fer souterrain dans lequel les wagons sont des belles cylindriques, et le moteur, de l’air comprimé, préparé dans les stations. Au bureau central on forme les trains, composés d’autant de boites qu’il y a de succursales à desservir. Les trains
sont omnibus quand ils s’arrêtent aux gares intermédiaires, express lorsqu’ils brûlent ces dernières.
Chaque quart d’heure, un train omnibus quitte la rue de Grenelle, et franchit la distance qui la sépare du bureau de la rue Boissy-d’Anglas (1 500 mètres) en une minute et demie. Là il est reçu dans une colonne verticale P (fig. 1), et l’on en tire la boîte qui apporte les dépêches à distribuer dans le quartier, les autres sont remises dans la section de ligne qui se dirige vers le Grand-Hôtel, et ou y ajoute une nouvelle boîte emportant les dépêches à transmettre, déposées depuis le dernier courrier.
Le train repart donc, composé d’autant de curseurs que précédemment ; il subit les mêmes manipulations au Grand-Hôtel, à la Bourse, à la place du Théâtre-Français et à la rue des Saints-Pères. Il rentre à la rue de Grenelle, 12 minutes après le départ, ayant échangé toutes ses boîtes et rapportant les dépêches du départ.
Nous avons laissé à dessein de coté le rôle des réseaux secondaires, pour ne pas compliquer l’explication. À l’inspection de notre carte, le lecteur verra qu’une circulation analogue à celle du premier réseau s’établit, en correspondance avec elle, sur les
deux circuits :
Bourse. | Bourse. |
Rue J-J Rousseau. | Rue Ste-Cécile. |
R. des Vieilles-Haudriettes. | Gare du Nord. |
Place du Château-d'Eau. | Boulev. Rochechouart. |
Porte St-Denis. | Rue Lafayette. |
C’est comme une série d’engrenages commandés par un pignon central. Il reste, à parler de la ligne directe qui va de la rue de Grenelle à la Bourse, et des embranchements des Champs-Elysées, de la Place du Havre, et la rue des Halles. Sur la première circulent les trains express d’aller et de retour, dont les départs sont intercalés entre ceux des trains omnibus, afin de desservir ces stations qui sont les plus actives, deux fois par quart d’heure.
L’aller se fait par la pression, le retour par l’aspiration.
Le même mode d’exploitation est appliqué aux embranchements, qui correspondent avec les trains omnibus du premier réseau ou réseau principal. Pour compléter ces indications, nous allons entrer dans quelques détails plus spéciaux :
Tubes. — Les tubes de lignes sont en fer ; le diamètre intérieur est de 0m,065. Ils sont assemblés par des joints à brides, disposés ainsi que le montre la figure 2 ; on admet des courbes de 5 à 20 mètres de rayon
Production de l’air comprimé ou raréfié.— Divers systèmes sont employés. Le premier en date est une application du principe de l’appareil de physique connu sous le nom de Fontaine de Héron. On transvase l’air atmosphérique d’un premier récipient B (fig. 1), dans un second récipient communiquant avec le premier au moyen du tube bb, par une introduction d’eau dans le récipient B. L’air ainsi forcé est puisé dans le récipient pour être dépensé dans le tube. La facilité que procure la canalisation d’eau de la ville de Paris de renouveler autant que l’on veut cette opération, a rendu ce moyen très-pratique en fournissant une solution élégante.
Appareil à production de l’air comprimé.
Lorsqu’on n’est pas tenu a faire les installations dans des quartiers où les machines ne sont pas tolérées, l’emploi de la vapeur est beaucoup plus économique pour la compression, de l’air. On a recours alors à des pompes ordinaires, avec lesquelles on peut assurer un service actif et soumis à moins de causes d’irrégularités. C’est ce dernier mode qui a été préféré dans les récents établissements.
Les trains composés de dix boites pèsent quatre kilogrammes environ, ils sont poussés ou aspirés par une différence de pression de trois quarts d’atmosphères, qui donne la vitesse moyenne de un kilomètre par minute.
LE MATÉRIEL ET LES DÉPÊCHES.
Boîtes à dépêches. — Les voyageurs qui prennent place dans les convois lilliputiens que nous avons décrits sont des plis fermés contenant un message. On les empile par groupes de 30 à 40 dans un curseur. Ce curseur ou boite est formé de deux cylindres : l’un intérieur, en tôle ; l’autre extérieur, en cuir, servant d’enveloppe au premier. Pour composer un train, il faut ajouter après la dernière boîte un
piston, afin de ne pas perdre la pression de l’air. Le piston est un morceau de bois garni d’une collerette en cuir, qui prend la forme intérieure du tube et constitue un joint presque hermétique, sans trop de frottement.
APPAREIL DE RÉCEPTION ET D’EXPÉDITION.
Appareil de réception et d’expédition. — Nous avons donné dans le précédent article le dessin du récepteur adopté d’abord, il est fort simple et peu encombrant ; l’expédition se fait par la même porte qui sert à l’extraction des boîtes. Quand il faut transborder un train d’une ligne dans une autre, cette manœuvre n’est ni assez rapide ni assez commode.
On emploie maintenant un système plus complet qui est représenté ci-contre.
Le dessin s’explique, de lui-même : deux lignes pénètrent dans le bureau, aboutissant chacune à un appareil distinct. Au premier plan, uu agent ouvre la porte A au moyen du levier d qui sert à l’expédition ; les boites et le piston sont jetés dans le tube, et attendent au point bas le courant d’air qui doit les propulser. Ce courant est produit au moment de l’ouverture du robinet c, qui commande la tête de l’appareil opposée au tube.
Le robinet c’ distribue l’air sur la seconde ligne. Au second plan, la porte de réception B est ouverte par un deuxième agent, le train est en gare, les boîtes attendent qu’on les retire du tube pour donner le jour aux télégrammes. Tout cet attirail a quelque chose de la forme d’un canon ; l’effet seulement est plus bénin, les artilleurs ne sont pas exposés à être tués ; le pire accident qu’ils aient à redouter est de boucher le tube. Nous reviendrons sur cet inconvénient, qui se produit très-rarement.
Avant de quitter l’appareil horizontal, nous indiquerons une disposition qui est usitée, lorsqu’au lieu de l’appliquer à un poste tête de ligne, on le fait fonctionner dans une station intermédiaire. Cette
distinction se rattache au groupement des bureaux par rapport aux moyens de production de force. Il est évident, en effet, qu’il n’est pas nécessaire que chaque bureau ait à sa disposition une provision d’air comprimé ou raréfié pour desservir les lignes adjacentes.
On conçoit très-bien, qu’au moyen de centres de production repartis, par exemple, de trois en trois kilomètres, on puisse desservir trois sections consécutives.
L’installation de la station intermédiaire sera calquée sur celle de l’écluse d’un canal. Lorsque le train aura franchi la première section, une valve convenable maintiendra la pression à l’amont pendant l’opération du transbordement du train, et un robinet de communication, ouvert à propos, permettrai à l’air de passer de la première section dans la seconde, pour pousser le train qui y aura été engagé.
Le lecteur complétera cette esquisse ; par cette description sommaire, il aura une idée des divers dispositifs de détail que comporte l’exploitation du réseau des tubes pneumatiques. Le développement total pour le service télégraphique de Paris atteindra 50 kilomètres pour desservir autant de stations.
Dépêches. — La machine est montée, nous pouvons pénétrer plus avant dans le jeu des cvcles. Les dépê- ches appartiennent à deux catégories : il y a les demandes et les réponses, les ordres et le compte rendu de l’exécution. Tout cela peut s’échanger d’abord entre un point de la ville et un point de l’extérieur (province ou étranger), ou inversement.
Ce qu’il faut dans ce cas, c’est un centre, nom que nous avons donné à l’hôtel des télégraphes de la rue de Grenelle, en relation d’une part avec l’extérieur par le réseau des fils électriques, et avec l’intérieur par le réseau des tubes pneumatiques. Les circuits fermés, représentés sur le plan donné précédemment, expliquent comment cette double circulation est obtenue par l’échange des boîtes de départ substituées aux boites d’arrivée dans chaque bureau de passage.
Les facteurs effectuent la distribution dans la circonscription de leur station, tandis que le public vient au guichet pour faire taxer son message. Autrefois l’administration avait adopté un système de timbres d’affranchissement qui devait être complété par l’établissement de boîtes fixes levées périodiquement, afin de faciliter le dépôt. Il a fallu reconnaître que l’éducation télégraphique n’était pas
assez avancée dans notre pays pour que l’adoption de cette mesure fut opportune.
Les dépêches ainsi affranchies par l’expéditeur étaient, le plus souvent rédigées d’une manière incomplète ou écrites d’une façon illisible, lorsqu’il n’arrivait pas que le compte des mots était erroné, au détriment de la taxe.
Le réseau des tubes pneumatiques remplit encore une fonction importante. Il s’adapte bien au service dit de la petite poste, c’est-à-dire, à l’échange des dépêches de la ville pour la ville. On aperçoit dans ce cas un avantage nouveau : les dépêches peuvent être remises en original. Avec le tracé adopté, lorsque le réseau sera complet, un pli pourra toujours être remis d’un quartier à l’autre le plus éloigné, dans un intervalle de temps qui ne dépassera pas une heure.
Chaque année le développement des lignes augmente et le nombre des télégrammes de Paris pour Paris dont la minute elle-même peut être transmise, est de plus en plus grand.
Il semble que le compte des mots soit un non-sens dans ce système de transmission, et que l’application de la taxe devrait se faire d’après le poids. Cette observation qui est souvent reproduite est fondée ;
si l’usage ancien a prévalu jusqu’ici, c’est que les dépêches qui transitent exclusivement par le tube sont l’exception, tant que le travail général n’est pas terminé.
Signaux électriques. — Nous terminerons aujourd’hui en indiquant, comment la télégraphie électrique remplit un emploi accessoire dans le fonctionnement des tubes pneumatiques.
Les manœuvres d’expédition et de réception des trains ressemblent, ainsi que nous l’avons dit, à celles de l’exploitation d’un chemin de fer en miniature. La plupart du temps, ce chemin est à voie unique ; pour éviter les collisions et les portes d’air quand le convoi est arrivé à destination, on a disposé parallèlement au tube un fil électrique aboutissant dans chaque station à une sonnerie et à une pile.
Des signaux réglementaires sont échangés à chaque arrivée ; grâce à cette précaution, les rencontres deviennent presque impossibles.
Les seuls accidents sont les dérangements produits par des avaries survenues aux divers accessoires de l’exploitation.
Ch. Bontemps.