Les télégraphes


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Les Télégraphes.

C'est une invention utile, mais dont l'idée n'est pas nouvelle. Il est certain que, dès 1684, il a été question à Londres des moyens de transmettre des signes à une grande distance en fort peu de temps, et qu'à la fin du dix-septième siècle un membre de l'académie des sciences fit, près de Paris, des expériences assez détaillées sur le même objet. Le discours lu à la société royale de Londres, et le détail des expériences faites en France, semblent indiquer à-peu-près les mêmes moyens que ceux mis en usage par l'inventeur du télégraphe.

Au surplus, ces machines n'ont pu s'exécuter avec quelques succès que lorsque les télescopes ont été perfectionnés. Il ne suffit pas de placer des signaux sur des hauteurs, il faut encore avoir des moyens de les reconnaître à de grandes distances; car plus on les multiplie, plus on ralentit la communication, et plus on augmente les frais de ces établissements.

Ainsi chaque télégraphe est muni de bons télescopes sans cesse dirigés sur les deux télégraphes correspondants, et il n'y a qu'un brouillard épais qui puisse interrompre la transmission rapide des signaux.

Quelques personnes, qui pensent qu'on ne peut correspondre qu'avec les signes vulgaires, croient que chaque signe télégraphique exprime une de nos lettres; mais il suffit d'avoir une légère connaissance de la tachygraphie, de la sténographie, ou enfin de quelque moyen que ce soit d'écrire aussi vite que l'on parle, pour sentir que cette méthode peut être adaptée à l'écriture télégraphique, et que chaque signe pourrait exprimer un son, et souvent un mot.

Les signes, dans les télégraphes actuels, correspondent à nos chiffres arabes ou vulgaires, dont le gouvernement et l'autorité avec laquelle il correspond ont seuls la clef; mais il m'est prouvé que l'on pourrait abréger le langage télégraphique, en conservant ces machines telles qu'elles sont, et en faisant signifier à chacun de ces signes une plus grande portion d'idée, sans introduire rien de vague dans la signification.

Les Anglais ont adopté les télégraphes avec quelques modifications; et il ne faut qu'avoir vu ces machines, pour juger qu'elles peuvent encore être simplifiées et perfectionnées.

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J'ai lu le projet d'un nouveau télégraphe, que leurs auteurs appellent Décimal*, dont les formes sont moins agréables à l'oeil que celles de Chappe : si l'exécution de leurs mouvements est aussi facile et aussi perceptible en grand qu'elle ne l'est en petit, on pourra en faire usage dans les villes, en les substituant à ceux qui y sont actuellement; car ces derniers, il faut l'avouer, déparent quelques édifices.

Les Parisiens, dont les fortes teintes de caractère sont à-peu-près les mêmes qu'autrefois, restent immobiles pendant des heures entières devant un télégraphe qui travaille, c'est leur expression. Quelques-uns même ont tâché de deviner le langage de ces machines, et ne peuvent pas concevoir que les hommes qui exécutent les signes télégraphiques sur une ligne de cent cinquante lieues, ne sachent pas ce qu'ils expriment. Rien cependant de plus facile à comprendre; car un chiffre correspondant à un signe, n'ayant aucun sens par lui-même, peut signifier aujourd'hui oui, et demain non; d'où il suit que, si la convention n'est connue que du gouvernement et de celui qui reçoit le signe à l'extrémité de la ligne télégraphique, tous les intermédiaires, tant acteurs que spectateurs, sont nécessairement dans l'ignorance la plus complète.

M'entendez-vous maintenant, bons Parisiens ? Passez donc votre chemin, et tâchez que votre nom ne soit plus synonyme de badaud.

Extrait du livre "Paris à la fin du 18ème siècle " de J.B Bujoulx édité en 1801

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